lundi 24 avril 2017

Début de Nouvelle

       Il descend du train. Le voilà Gare Saint Charles. Fatigue. Haut-parleurs. Bousculades. Désordre. Il aperçoit une terrasse. Enfin, fumer une cigarette.
       Et puis soudain, éblouissement. Luminosité intense. Une étendue bleue qui clignote. Des iles blanches à l’horizon. Des rochers posés au loin comme des crabes. Il reste là, immobile. Instant magique. Liberté. Il regarde les mouettes à portée de main.  Il gonfle sa poitrine. Il écarte les bras. L’immense terrasse lui appartient. Il se sent devenir oiseau. Il n’a plus envie de continuer son voyage. Rester là quelques jours.
       Il se dirige vers l’escalator. Métro. Sous terre il regrette déjà l’immensité bleue. Station Vieux Port. Nouvel éblouissement. Partout des cafés. Toutes sortes de langages et de vêtements. Des chaises qui frétillent. On parle fort. On lève son verre. On rit à plein gosier. On fait de grands gestes vers le ciel. Les voiles claquent, les cordages leur répondent, impatients de partir. Oui, c’est çà. Rester un petit peu ici. Pour savourer. Il trouve un petit hôtel près du  Vieux Port. Et puis  prendre l’avion. Seulement dans deux ou trois jours.
       Aéroport de Nice. Ambiance froide. Du verre et du marbre. Des vieux couples aux visages figés d’oiseaux empaillés. Ils se déplacent au ralenti. Leurs pieds glissent sur le sol. Patineurs impassibles et immobiles. Vite. Il est le dernier à embarquer. Heureux de quitter cette ville…qu’il n’a pas eu le temps de visiter.
      Dans l’avion. Joyeuse effervescence. Insouciance.  Shorts et chemisettes  à carreaux. Sacs à dos qui ont du mal à trouver leur place. Les bras  s’agitent dans tous les sens. Les  jambes dansent sur place. Puis rien que de très habituel au décollage.
      Il a dû s’assoupir. Une heure ou deux peut-être. Par le hublot, éblouissement .Immensité bleue en dessous. Pas un nuage. Pas un bruit venant du dehors. Juste de gros cailloux blancs immobiles en bas. Des petites taches blanches qui se déplacent. Ce sont les bateaux de plaisance. Des voitures minuscules qui brillent sous le soleil.
      Alors il se revoit enfant, jouant aux petites voitures, dans le grand salon. Son père travaillant à côté. Dans son bureau. Il ne fallait faire aucun bruit. Surtout ne pas le déranger. Ce père sévère et renfermé. Il se revoit aussi au Luxembourg devant le grand bassin. Il téléguide son voilier. Sous les yeux de cette  mère incapable de douceur envers lui. Qui préférait  ce frère cadet, maintenant disparu. Il tentait d’échapper à son passé. Et voilà que celui-ci le rattrapait…

vendredi 21 avril 2017

Un cycliste à Paris

C'est l'été à Paris depuis le petit balcon de mon 17m2 rue de Tocqueville, j'aperçois le périphérique qui sépare la ville lumière de Levallois et des gens qui y votent. Mon Dieu qu'il fait chaud. Taillo! Je prends mon vélo et je file me mettre au frais dans le parc le plus proche, j'arrive au parc Monceau, pas de doute c'est le plus beau, le plus chic, mais il faut sans cesse éviter les joggeuses maladroites et les poussettes de course. Trop petit, pas fait pour les vélos, je décide d'aller jusqu'au bois de Boulogne. Il est 19h, je file, je file entre les voitures, double les livreurs, zigzague avec souplesse, crachant mes poumons à chaque feu rouge. Oui, je respecte les feux rouges. Question de survie en cette jungle urbaine frénétique. J'aperçois le bois enfin, je fais un tour d'hippodrome et double le peloton de cyclistes semi-pro avec un air détaché comme pour me prouver que je peux le faire puis je lance mon VTT sur cette terre où les essayeurs de Decathlon l'ont probablement testé. Il est à son aise, je fonce entre les arbres dans ses petits sillons de terre meuble, esquivant les joggeurs, les poussettes de cross à grosses roues et freins à disques et freinant au passage des joggeuses lookées de la capitale. Ola! Je n'aurais pas dû me retourner, les lapins courent partout et me coupent la route. La nuit tombe. On dirait qu'ils courent à la dernière caisse ouverte avant la fermeture du magasin. Sur le boulevard qui traverse cet écrin de verdure, un bus RATP s'immobilise soudain, mon souffle se bloque, mes mains se crispent sur les freins, la décélération plaque mes yeux contre le verre de mes lunettes et ma langue se jette hors de ma bouche, j'observe, le nerf optique encore chaud, une créature mélangeant maladroitement l'avant-centre Chabal avec une meneuse de revue du Moulin Rouge qui descend du bus. Je détourne le regard pour ne pas perdre connaissance et décide de fuir à grands coups de pédales. 

A Goa, les hommes sont libres

A Goa, les hommes sont libres. L'État semble avoir disparu, le Palais de L’Elysée n'existe plus. Aux manettes de mon scooter je file au travers des palmiers sans casque avec mes potes, on se sent vivant, on s'arrête à un bar perdu "Le bout du monde". A l'ombre d'une terrasse, je commande un lassi bien frais. J'en sirote quelques gouttes et pense à ma famille si loin par-delà l'océan Indien et le Canal de Suez. En ce mois d'août, à Morgiou, le concours de pêche va commencer. Mon grand-père va-t-il conserver son titre ? Généralement c'est sa deuxième canne à pêche avec un gros bibi qui fait la différence, un gros sar finit inlassablement par mordre à l'hameçon et fait pencher la balance en sa faveur. "Bon tu joues Romain ?" "Ah oui excuse Alex, j'étais ailleurs". Déjà qu'il a la patience de m'apprendre le backgammon si en plus je plane à 5000 ça ne va pas le faire. Il est vraiment joueur l'animal.

Le Baiser du Junky

Julie se calfeutre dans son duffle-coat lançant des regards hostiles aux junkies qui rôdent. Il est 1h du matin à la gare de Luxembourg, son bus Eurolines est annulé et il n'y a plus de train. Elle se fait aborder par les SDF qui n'ont pas l'habitude de partager leur nuit avec une jeune femme, elle quitte l'enceinte de la gare. Sur le parvis un vent glacial s'immisce dans son col. Un punk s'approche d'elle et lui propose de l'emmener dans un hôtel d'accueil, où elle sera au chaud. Julie refuse, le punk insiste, elle est acculée par cet homme qui visiblement ne connecte pas tous ses neurones et répète en boucle le même discours. Julie frissonne, elle pense de toutes ses forces au salut et prie pour qu'il vienne là, sur-le-champ. L'autre resserre le cercle autour d'elle et se fait pressant. Julie au contact physique de l'importun ferme les yeux et se trouve emportée par une main invisible et bonne qui l'extirpe de son duffle-coat, le punk embrassant l'habit sans s'apercevoir du vide à l'intérieur.

Julie se retrouve au fond d'une calèche en face du Comte de Grancey-Le-Château. Le regard intense, les lèvres brunes, l'élégance de sa stature fascinent la jeune femme qui sourit et s'installe confortablement, appréciant la douceur du velours, la fermeté de l'assise et la dureté de l'emprise du Comte. Chevauchée fluide, à-coups intenses et revigorants. Julie est envoûtée par le charme de la cavale, l'entrée par la porte cochère, la brillance des vitraux de la Chapelle, le bruit des chaînes du pont-levis qui se referme. Grancey-Le-Château a gardé son prestige Moyenâgeux. Julie impudique s'adonne au trouble que lui cause son hôte et rentre dans son jeu, déambulant les pieds nus sur la pierre, les mains soutenant un chandelier sur la tête, elle fait des pauses pour le plus grand plaisir du Comte, qui d'un claquement de doigts l'envoie sur les pistes gelées de sa station de ski préférée Orcières-Merlette; il l'a fait descendre les pistes en jupette. Julie s'extasie et reprend une dose que le junky lui tend.