dimanche 15 décembre 2019

Récit Apocalyptique : Face A

Je dormais parmi d'autres dormeurs plein de chaleur et de langueur. Je dormais exagérément et faisais peser tout mon corps sur le sable. Quand je me réveillais, piqué par les bruits de la foule réunie, presque tous les habitants du village étaient là. D'abord, je crus à un accident, ou à une fête, un évènement dont je n'aurais pas remarqué les préparatifs ? Mais c'est en écoutant au-delà du bruissement des voix, dans cette langue que je ne connaissais qu'encore très peu, que je m'éveillais vraiment. 
Silence. 
Le son des vagues s'était échappé. J'ouvrais les yeux, me redressais. Où était partie la houle gracieuse? A sa place, bien visibles, les casiers des pêcheurs, comme sortis de l'eau. Mais c'était la mer qui n'était plus. Même en fixant au loin et en forçant mon regard, rien, enfin seulement du sable, du sable, du sable. Même les hommes, les femmes, les animaux qui les accompagnaient ou ne les accompagnaient pas s'étaient tu. Tous attendaient. Nous étions suspendus, le monde était suspendu. Puis le sol frémit, et il y eu un spasme discret mais perceptible. Au loin, sans aucun doute, l'eau revenait à nous. Une seule vague. Immense, sans limites, puissante, folle. Mes pensées m'échappaient. Je me recroquevillais lentement. Puis, tranquillement, de nouveau contre le sable, j'attendais. 

Récit apocalyptique, face B

Alors que l'astre lunaire
Fonçait droit sur la terre
Il aurait été judicieux, même tard
Que je sorte de mon marasme, me barre, et m'échappe de ce merdier dard dard.
Secoue-toi Léonard !

lundi 9 décembre 2019

Nouvelle Zélande, 12 octobre 2017.


Le son de la mer, les vagues, personne. Je suis seule.  Moi, et mes trois toutous, canidés courant, aboyant, jouant ! Je marche un moment, puis, au creux d’un rocher face à l’océan, j’installe quelques affaires (tapis, gamelles, drap pour moi). Les chiens jouent ; moi je me laisse bercer par ce paysage féérique. Puis, après quelques instants, je fouille négligemment dans les poches de mon anorak. 
Je m’immobilise un instant, expression de surprise sur le visage : surprise,  les yeux écarquillés et les sourcils relevés, je regarde attentivement un bout de papier rectangulaire que je viens de trouver dans ma poche. Après quelques secondes d’immobilité, le sang et les émotions semblent revenir sur mon visage.
                Vous, la promeneuse de chiens sur la ligne 14, dont une des bêtes à poils a cruellement mordu mon escarpin rouge, le prenant pour un jouet à toutous sans doute… Vos excuses bafouillantes et, dans vos yeux, la peur que j’intente une action contre vous. « 1er job, 1er jour, quelle poisse ! » et moi qui réponds « Poisse ? Et si c’était une chance plutôt ...? » Bouleversée par le mini drame, vous n’avez pas compris et vous avez quitté précipitamment la rame, tirant derrière vous trois canidés (neuf en réalité !), surexcités et aboyants.
   A la fin de cette petite lecture, je souris, libre et épanouie ; mon regard se tourne à nouveau vers mes chiens éparpillés sur la plage, surexcités, joueurs et aboyants... Puis, je regarde au loin, à nouveau immobile, mais cette fois avec quelque chose de plus, amusée et fugace, une étincelle au fond de mes yeux/dans le cœur...
Au cœur de ce paysage sauvage, je reste là, rêveuse, immobile,  (…) Le fracas des vagues et les aboiements de mes chiens me ramènent ici après ce court, mais magique et lointain voyage. Je jette ma veste sur la plage. J’appelle mes chiens, joues avec eux, haletants et joyeux. La température s’est réchauffée pendant cet intervalle de temps, il fait chaud maintenant, très chaud, au moins 35° je dirais… Une petite pluie presque chaude me tombe sur les épaules. Je fronce les sourcils, gênée par cette brulante humidité à laquelle je ne m’attendais pas. L’air gentiment mécontent, je ramasse mes affaires, celles de mes chiens, les rappelle, et fais chemin inverse...
En bout de plage, une butte gravie m’avait permise d’accéder jusqu’ici.  Appelant régulièrement mes chiens, je la remonte précipitamment afin de ne pas subir trop/plus longtemps cette pluie presque brûlante. « Allios, Ran, Dooggy ! »   Mes chiens arrivent tout en zigzagant et moi, arrivée en haut de cette butte, sur ce petit coin de terre séparant cette plage isolée du reste de l’île, je me fige à nouveau, choquée ! Une ancienne inconnue, désormais devenue intime pour moi depuis ma lecture sur la plage, cette inconnue donc se trouve là, juste en face de moi. Elle me sourit, radieuse. Battements de cœur qui s’accélèrent et tapent fort dans ma poitrine ; j’ai chaud, je rougis et me sens vraiment perdue dans ce moment incongru !
J’inspire avec difficultés, regarde cette femme dans les yeux, lui souris, gênée, surprise et heureuse de cette improbable rencontre.  « Est-ce un rêve… ?! »
« Allios, Ran, Doogy, venez ici ! Ne vous inquiétez pas, ils ne sont pas méchants …» La femme continue de me sourire, je la regarde, puis baisse un peu les yeux tout en rougissant. « Nous nous sommes déjà rencontrées, sur la ligne 14, il y a longtemps … Vous portiez des escarpins rouges… »
-          « Oui », reprend la femme en face de moi, plus resplendissante que jamais, « je m’en souviens… Comment aurai-je pu oublier… ?! »
-          « Heu, et bien…, excusez-moi encore de l’incident ! »
-          « Hahaaa, vous êtes déjà pardonnée ! Maria, et vous ? Vous voyagez seule dans ces contrées isolées ? »
-          «Kézia, enchantée !  Oui, je voyage avec mes chiens, et la nature !!! Et vous… ?»
-          « Ravie aussi ! Oui, moi aussi ! Je voyageais seule jusqu’à il y a quelques instants ! Mais sans chiens !»
Sourires, regards incandescents et radieux partagés entre ces belles inconnues.
-          « Je viens de vous lire,  et vous apparaissez…! Si j’y croyais, je dirais que c’est un drôle de hasard, une coïncidence, mais là… la beauté et la magie de la vie sont si flagrantes que je ne dirais qu’une chose : il faut aller fêter ça ! »

lundi 25 novembre 2019

A la terrasse d'un café


A la terrasse d'un café, il regarde ce quartier qu'il a quitté bien des années. Il y a vécu sa jeunesse. Il est heureux de revoir cette animation autour de lui. Sans nostalgie, il se souvient...Son regard navigue au cœur des immensités traversées, de l'accueil des hommes et femmes d'autres cultures. Il en avait une telle soif ! Il a aimé cette vie d'aventures humaines. Il en est comblé. Des frissons le parcourent aux souvenirs des grands espaces, de leurs senteurs, de leurs beautés. Ici l'odeur et l'animation de la rue l'émeuvent de doux souvenirs. Tout à coup, il se sent oppressé par l'air pesant. Une quinte de toux le terrasse. Il avait oublié cette sensation étouffante de son asthme. Il reprend son souffle. Il plonge la main dans sa poche. Ah ? Un papier ? Il parcourt le message.

Je t'ai déjà vu de nombreuses fois. Mais je n'arrive pas à te situer. C'était il y a longtemps... J'aurais aimé te connaître mais cette fois je ne t'ai pas abordé. J'aurais surtout aimé te re-situer pour me souvenir de la nature de mon attirance. En te revoyant, longtemps après, tu avais disparu du quartier, j'ai ressenti une attirance, sans doute parce que tu avais disparu de mon environnement familier. –

L'étonnement étoile ses yeux. Un doux sourire se dessine. Une femme s'installe à une table proche. Il lui semble la reconnaître...Il ferme les yeux et plonge dans ses premiers émois : la douceur de son visage, sa voix dansante, sa démarche pétillante. Il la regarde sans oser l'aborder. Leurs regards se croisent. Leurs mots jaillissent. Des souvenirs timides fleurissent. Ils sont simplement heureux de se revoir. Ils nagent dans leur jeunesse. Iront-ils plus loin ?

samedi 23 novembre 2019

Vide-greniers


Depuis qu'un cinéma de quartier avait réouvert dans cette petite ville, il y avait enfin un prétexte pour sortir le mardi soir. C'était un beau bâtiment qui s'était fait attendre, quatre salles et de jolis fauteuils, un petit bar sans prétention, idéal pour boire un café avant un film de deux heures trente. Le mardi, les places étaient moins chères, c'était donc le jour tout désigné pour y aller. Le vendredi, dîner avec les collègues, le samedi, spectacle, et le dimanche bien sûr, les brocantes. Avec la percée écologique, 2019 était une année en or pour les chineurs - même dans les petites villes.

Ce soir, Marie arborait fièrement son nouveau manteau pied-de-poule Maje acheté lors du dernier vide-greniers qu'elle avait fait, à une femme qui avait deux fois son âge et apparemment deux fois moins de bon sens pour le vendre à quarante euros. Marie avait sauté sur l'occasion : essayé, adopté, payé. Enfin, presque, elle avait dû l'abandonner quelques minutes pour aller faire l'appoint au tabac d'en bas. Deux longues minutes passées à prier pour que personne ne mette la main dessus. Très fière de sa trouvaille donc, elle refusait de le retirer tant qu'elle ne serait pas assise face à l'écran géant.
Marie attendait au bar les boissons qu'elle avait commandées pour elle et ses amis. Quand le cafetier posa les tasses devant elle, elle plongea la main dans la poche de son manteau pour y récupérer le billet de dix euros qu'elle y avait laissé, mais le papier qu'elle en sortit ne venait pas de la banque. C'était une lettre, sans doute oubliée là par l'ancienne propriétaire.

Toi, l'inconnue dont j'ai quand même pu glaner le prénom
"Marie"
Rencontrée sur ce vide-greniers,
Rencontre un peu improbable, un peu absurde.
Je me démenais avec un barnum désarticulé
gonflé par le vent
Toi, flâneuse, tu te promenais entre les étals,
J'ai aimé l'illusion de partager avec toi un secret précieux.
Aujourd'hui, j'aimerais te le révéler.

Ce mot lui était bien adressée, par contre, il n'était pas signé. Marie fut surprise, puis intriguée, puis peu à peu, dégoûtée. L'auteur avait dû glisser le carré de papier pendant qu'elle était partie faire de la monnaie.
Absurde, ça l'était.
Marie retira son manteau.
Elle revînt à la table de ses amis avec les cafés et posa son manteau sur la chaise libre, loin d'elle. Elle resta silencieuse, bouleversée par cette lettre, par ces mots écrits, à l'énergie mise en œuvre pour la glisser dans la poche, en échappant à la vue de ses ancienne et nouvelle propriétaires. Quel stratagème il avait fallu monter. Et dire que le weekend dernier, quand elle avait choisi ce manteau, il faisait un temps quasi-printanier - un beau soleil, au moins vingt degrés. Elle s'était dit qu'il s'écoulerait des semaines avant qu’elle ne le porte. L'idée qu'elle puisse retrouver cette lettre un ou deux mois plus tard lui provoqua un frisson de dégoût. Tomber là-dessus, seule chez elle, ou pire encore, au travail, devant ses patients, seringue à la main... Qui avait bien pu mettre le mot dans cette poche ?
Marie se plongea dans ses souvenirs pour tenter de se remémorer chaque personne qu'elle avait croisées ce jour-là, mais les visages restaient flous. À force de concentration, un individu finit par se démarquer.
Un type qu'elle avait croisé trois stands avant celui du manteau. Il avait effectivement du mal à contrôler son barnum... Un très grand homme brun à lunettes, plutôt beau, probablement un peu plus jeune qu'elle.
Il n'avait pas l'air étrange, il semblait heureux et détendu, content d'être là, avec des assiettes moches sous le bras. Pas le genre à suivre une femme pour glisser une lettre flippante dans sa poche.
Marie espérait vraiment ne jamais retomber sur lui, toutefois, un part d'elle avait envie d'être confrontée à cet homme. Elle lui dirait des horreurs, lui balancerait ses quatre vérités, lui jetterait ses assiettes moches au visage et le chasserait de là, ce stalker de vide-greniers, ce harceleur de la seconde main, ce poète du dimanche (littéralement) ! Ou, plus probablement, elle l'écouterait débiter son discours qu'il imaginait romantique avant de balbutier une excuse peu crédible et s'enfuir à toutes jambes. Et elle aurait laissé le manteau derrière elle. Finalement, heureusement qu'il lui avait écrit au lieu de venir lui parler. Il était plutôt mignon, dommage qu'il soit un peu dérangé. Elle ne le recroiserait sans doute jamais. Marie prit son manteau et suivit ses amis à l'intérieur de la salle de cinéma.

Dix centimètres nous séparent


C'est un homme, cheveux grisonnant, barbe de quelques jours. Il porte un imperméable noir. Il est sur la jetée du port et regarde de loin vers le large. Les vagues qui s'entrechoquent, l'éclaboussent et le recouvrent d'une fine perle d'eau. Ça le rafraîchit. Il ne bouge pas et regarde de loin au large. Il est grand et élancé. Il dégage une tranquillité, un calme, en symbiose avec l'étendue de la mer en face de lui. Personne autour de lui et moi qui le regarde. J'ai envie qu'il se retourne. J'ai envie d'être celle qui brisera le temps d'un instant, juste le temps qu'il puisse m'emmener avec lui faire ce grand voyage. J'ai envie de rentrer dans ce tableau. Qu'il me prenne la main. Nostalgie. Il met ses mains dans les poches. Il sort de sa poche gauche un morceau de papier. "J'ai réussi". Il arrête de contempler le large et pose ses yeux sur quelques mots griffonnés sur ce papier. Il se met à bouger, retourne le papier plusieurs fois. Il regarde à droite à gauche. "Je suis derrière toi". La pénombre finit par s'installer, il se retourne. Il arrive vers moi d'un pas rapide. Mon cœur s'emballe. "Je fais quoi". Un banc. Je m'y assis. Il s'approche du lampadaire. Il s'arrête et, de nouveau, relit le message éclairé maintenant par une lumière artificielle. 
" Vous de profil. Comment vos cheveux grisonnants, votre barbe de quelques jours, votre bouche ! Oui votre bouche, m'ont fait frissonner. 
Avez-vous senti mon inspiration profonde ?
Votre regard s'est aussitôt plongé dans le mien ! Votre sourcil froncé semblait me dire que vous me connaissiez. Oui, c'est moi, c'est bien moi. Nous avons quelque chose à vivre. Je serai là tous les vendredis à 18h00. Quelque chose me dit que vous y serez-vous aussi. J'ai hâte ! »
Il ne me remarque pas, ne me regarde pas. Je suis comme paralysée. Je sens le rouge me monter au visage. Ce rapprochement inopiné électrise l’atmosphère. Je suis rentrée dans sa bulle, il ne me remarque pas. Obnubilé par ce morceau de papier. « Mais, c’est moi, qui l’ai écrit ». La lumière maintenant nous encercle tous les deux, que tous les deux. Puis tout à coup, il lève la tête et nos yeux se rencontrent de nouveau. Il regarde ce morceau de papier et replonge dans mon regard. Il ne s’agite plus. Il vient vers moi. Il s’approche du banc et ne me lâche pas du regard. Il s’arrête. Cinquante centimètres nous séparent. Debout, comme une éternité, il me regarde la tête penchée en avant. Je lis en lui : surprise, joie, excitation. Puis, il s’assoit près de moi. Dix centimètres nous séparent. Il me dit « bonjour ». Comme s’il me connaissait déjà. Je lui réponds tremblotante « bonsoir ». Je suis gênée. « A-t-il compris ? ». Il me sourit, d’un sourire apaisé. De légères rides apparaissent au coin de ses yeux. « Charmant ».

Mon passager


C’était le 14 novembre ou plutôt le 15, entre 1h30 et 2h.
Nous étions au fond d’un wagon, sur la ligne 9, joyeux comme tout ceux qui rentrent à cette heure.
Le visage collé contre la vitre que ton souffle embuait, tu regardais défiler 'Zi'zkov, son béton et ses faubourgs.

Je t’ai observé tandis que tu ne m’as pas vue. Une atmosphère de gaieté régnait dans ce wagon, à cause de l’horaire de la journée pour rentrer chez soi, après une journée de travail. Tu regardais au-dehors, à travers la vitre, très absorbé par le paysage qui défilait. Je ne saurais dire si tu étais joyeux, toi aussi, si tu faisais preuve d’une certaine présence, toi aussi, dans ce train de banlieue qui nous ramenait tous à la maison. Peut-être était-ce moi qui étais joyeuse et peut-être que je ne captais que la joie chez les autres passagers. Je t’observais un long moment car tu attiras mon regard, dans la joie et la bonne humeur. Peut-être parce que tu regardais dehors, justement !
Soudain, une pluie battante s’abattit sur ce train, et tout autour des lignes de pluies se formèrent sur les vitres qui te servaient de panorama. Tu fouillas instinctivement dans ton sac à dos pour vérifier si tu avais un parapluie, sans doute que ta gare de destination approchait. C’était également mon cas : ma garde destination était la suivante et je commençais à me demander si je pourrais t’inviter sous mon parapluie. Je souhaitais vivement et le redoutais à la fois, comme si j’allais essuyer un refus distant voire condescendant. Nous descendîmes à la même gare et la pluie continuait à tomber de plus belle. Comme il faisait chaud, on se serait cru sous une pluie tropicale venue d’Afrique. C’était plutôt exceptionnel, voire surréaliste à cette saison et sous cette latitude. Les passagers qui descendirent dans cette gare furent surpris par la violence du climat et des parapluies volaient dans tous les sens sitôt ouverts. Mon passager attrapa le mien au vol et voulut me le restituer sous sa forme originale mais il n’y parvint pas. Sous la pluie, il essayait de le remettre à l’endroit, pour qu’il serve à quelque chose au moins mais sans succès. Je le remerciais pour tous ses efforts et sa gentillesse moyennement récompensée : il avait quand même rattrapé mon parapluie emporté par le vent. Je lui fais un grand sourire qu’il me rendit et ce fut très agréable.

Changement d'itinéraire


Se frottant les mains, multipliant les couches de vêtements, une serviette de toilette autour du cou, trois paires de chaussettes dans des sandales Birkenfield. La couperose aux joues, les engelures aux doigts, la lèvre qui craquelle sous le froid. C’est dans le parc La Fontaine de Montréal, qu’il s’est réfugié en attendant. Parce qu’il y a des arbres. Parce qu’il peut soulager sa chaude pisse. Parce qu’il maudit les lieux publics, où en plus de son MST, il peut attraper d’autres germes. Il s’était dit qu’un jardin, ça respire, c’est chlorophylle et senteurs fleuris, c’est promeneurs fleur bleue et pucelles en herbe. Sauf que son look mille-feuilles risque d’entamer son sex-appeal, mais il a bien trop froid pour faire du chiquet. D’ailleurs, il enfouit son cou dans ses épaules et ses mains dans ses poches.
Il a l’air surpris. Il brasse l’intérieure de ses poches. L’une d’elles est trouée. Il fouille au fond de sa doublure de manteau. C’est bien ce qu’il lui semblait, il y a un papier qui lui pique les fesses. Un carton de rouleaux de papier toilette et un mot écrit dessus. Il fronce les sourcils à sa lecture.

Nous nous sommes croisés dans le pire endroit possible pour une rencontre amoureuse, nous nous sommes croisés dans l’endroit le moins propice à y rester, nous nous sommes croisés là où en général, on garde les yeux baissés : les toilettes de l’aéroport. J’allais à Turin et toi peut-être à Séoul, malgré cela, j’espère que tu voudras revoir la femme en rose de l’aéroport.

Il a des réminiscences, des flashs, tailleur rose, fesse blanche, sein moelleux, des cheveux, de très longs cheveux. C’est probablement cette hôtesse de l’air qui avait substitué son vol pour Séoul avec celui de Montréal. Ah ! La bougresse ! Il est furieux et jette le rouleau par terre. Le vent s’engouffre dans ses couches de vêtements. Une once de culpabilité le saisit. L’image de sa mère, les mains sur les hanches et le regard sévère, le rappelle à l’ordre. Il se baisse pour ramasser ce papier à l’état de détritus, quand une nappe de brouillard se forme à ses pieds. Elle s’épaissit et recouvre maintenant tout son corps. Pays abominable, où les éléments ne pardonnent pas ses péchés lubriques et anti-écolo. Il disparaît sous l’épaisse pois humide. Des gouttes de condensation perlent sur ses sourcils, les yeux noyés, les cheveux mouillés, la serviette et les chaussettes trempées. Aveugle, il avance à tâtons pour trouver le rebord de La Fontaine et s’asseoir. Seul le bruit du clapotement régulier de l’eau le guide. Il tâte un corps dur et rugueux, l’écorce d’un chêne qu’il contourne, il tâte un corps mou et spongieux, statue recouverte de mousse. Il s’y adosse, le temps de remettre ses chaussettes, qui s’étaient déchaussées. Il reprend son itinéraire à pas de fourmis, il tâte un corps souple et ferme. Il n’essaie pas de le contourner au contraire, il cherche à définir les contours, une liquette légère, sous un manteau en cuir, des formes généreuses, des petits cris de plaisir, qu’il a déjà entendu quelque part. Il insiste sur la croupe rebondie, les gémissements se font plus intenses et c’est le flash. L’image de la femme en rose qu’il s’était entichée à l’aéroport !
-          Toi, la folle dingue ?
-          Petit loup, mon animal, mon velu…
-          Assez !
-          Mon chinchilla, tu es à moi, je fais ce que je veux.
-          Arrête tes caresses, je te dis.
-          Trop tard, tu as voulu de la femme, de la chair, du ventru et bien, tu as frappé là où il fallait.
-          Non, c’est toi qui m’as allumé ! J’étais très bien sur mon fauteuil massant de l’aéroport. Je t’ai vu arriver comme une hôtesse de l’air, je ne pensais pas tomber sur une folle.
-          Bébé, tu n’as pas dit non dans les toilettes. Tu as déjà vu une hôtesse de l’air amener ses voyageurs aux toilettes ?
-          Non, mais la chance peut sourire parfois…
-          Je suis ta chance. Je t’ai pris sous mon aile, Fabien.
-          Tu connais mon nom ? 
-          Bien sûr, je t’ai pisté, je t’observe depuis longtemps, très longtemps. Toi, qui n’a jamais eu un regard pour moi… Alors le coup de l’hôtesse de l’air, l’uniforme, je savais que là tu ne résisterais pas. Tu sais qui je suis ? Je suis la jeune étudiante docile, invisible, tapie derrière ses lunettes à double foyers. Je t’ai aimé, adulé mais pas un regard. Tu as tellement batifolé avec tes élèves. Toi, le professeur érudit. Heureusement pour moi, tu n’es pas marié. Trop instable le garçon, à aller voir à gauche à droite. Eh bien, sens bien mes hanches, mes jambes se refermer sur toi. Moi, je vais t’apporter la stabilité, l’amour et l’abondance. Mais arrête donc de gesticuler, regarde la jolie balle que j’ai mis dans ta bouche et la chaîne que j’attache à ton cou, mon bichon. Non, je ne t’ai pas cassé les bras, ils sont juste barrés avec une tige de fer. Oui Fabien, maintenant tu es ma chose.

Le jugement


Les yeux cernés dans l’aube du jour il flotte sur un nuage au- dessus de nos têtes. On ne sait pas s’il apporte la pluie ou le soleil. Si Le carton sera jaune ou rouge. Il porte des plumes pour répandre la légèreté. Il a de grandes ailes pour nous couvrir, nous étreindre dans le noir.
Il vient sonner la corne et annoncer la sentence. Il ne faillit jamais à son rôle. Il se déplace lorsque l’on ne sait plus comment juger nos actes.
Les uns se mettent à nu devant lui et choisissent de dévoiler leurs plus intimes secrets. Leurs rêves oubliés et leurs désirs enfouis. D’autres le prieront de ne pas être trop sévères mais n’ouvriront pas la bouche. Restant stoïque à l’appel de la corne, les mains en prière dirigées vers le ciel.

Jugement & Tempérance

·           
  • Divine Tempérance, cela fait des jours que je te cherche, les mains en prière, j'attends ma sentence. Je reste planté là et je regarde le ciel.
  • En quoi pourrais-je t’être utile ?
  • On dit que tu disposerais d’une cruche contenant un liquide mystérieux qui rendrait la vue même à un aveugle. On dit aussi qu’il suffit de se laisser porter dans ton tourbillon pour rejaillir du fond de l’eau. 
  • Je peux effectivement t’emmener avec moi, faire un voyage, mais il t’appartiendra ensuite de répondre de tes propres turpitudes. Je peux t’envelopper dans ma robe en mouvement mais il t’appartiendra d’y trouver ton propre élan.
  • Je suis prêt à te suivre. Je ne veux plus rester immobile.
  • Très bien. Alors accepte le mouvement. Mais qu’as-tu donc à m’offrir en échange ?
  • Je ne sais pas..

Le Tirage

Je vois une rencontre. Une rencontre puissante. Cette rencontre va te retourner. Te mettre la tête à l’envers. Elle te donnera de l’élan afin de prendre de la hauteur. Mais.. attention à la chute. Tu ne dois pas oublier que tu restes maître de ton destin, le bourreau de tes jugements. Elle peut inverser les couleurs et peut donner un nouveau souffle à la vie. Elle attire les âmes perdues ou celles en quête d’expérience. Tu devras faire attention au change où tu te retrouveras la tête en bas. En manque de souffle, dans un tourbillon sans fond faisant le balancier au bout d’une corde invisible.

mercredi 30 octobre 2019

DIABLE ET LUNE

D-Bonjour la lune, que fais-tu en plein jour ?
L-Je fais le jour, beau diable ! pas question, que le soleil soit seul à faire lumière...
D-Tant mieux, la lune, mes zombies auront plus de force, par cela, de mon côté, je fais la chauve souris, même le jour, pas question, que la nuit la cache.
L-Mille fois, raison, tu as le diable, les chauves souris ont droit au jour, comme les morts à la vie, et que je sois visible le jour aussi, la révolution passe par là. Un jour, je quitterai la terre, je me lasse de plus en plus, de l'attraction terrestre, j'ai besoin d'actions extraterrestres !
D-Pourquoi pas, la lune ? L'univers est vaste et cette planète est terne, sans mes diableries ça serait d'une tristesse..
Les humains sortent, trop peu de l'humus et ils y retournent très vite, trop terre à terre, les êtres humains !!!
L-Ils m'ont rendu visite, cher diable, un peu et m'ont vite oublié, la tête dans les étoiles est un mythe...
D-Lune, je te souhaite bonne chance, ici je m'amuse encore, à agiter leurs corps et mettre parfois des idées nouvelles, dans leur habitude...
L-Soit diable, joue bien, tant que tu  peux !

Luttte versus Désir


-J’ai mis longtemps à venir. J’ai attendu la pluie mais elle n’est pas tombée. J’ai eu la visite d’une amie, qui a proposée de l’accompagner, mais j’ai refusé. J’ai apprécié le confort de mon fauteuil pour ne pas m’en aller, mais te retrouver l’a remporté sur toutes mes tentatives de résistance. Résister à l’attrait de ta peau, de ton dos, ton étreinte.
-Je t’ai senti venir, par derrière, comme une couleuvre qui se glisse silencieusement dans l’interstice de mon cou. Je redoute tes airs enjôleurs. Regarde l’instrument que j’ai préparé pour toi. Viens siffler dans mon pipeau, je n’entendrai plus tes mots vicieux, langoureux, qui m’assaillent et me démunissent.
-Gentil bateleur, vois comme mes mains sont douces sur ta peau tannée. Donne-moi ton morceau dur comme du bois, heu ton bout de bois, que je te démontre à quel point tu désires mon étreinte. Accueille la sève de mon âme, je suis à toi, jeune guerrier.
-C’est ta peau que je devrai fouetter, pour ton outrage. Mais tu en tirerais encore satisfaction. Ennemi de mes envies.
-Viens mesurer ma flamme, regarde comme elle est chaude mais ne te brûle pas.
-C’est toi que je devrais jeter sur le bûcher, je suis innocent et je porterai des gants pour ne pas salir ma réputation. Tentahhhhhh-trice.
-Très bien. Je vais donc devoir user de ma force, mon chérubin. Comme ta mâchoire se durcit sous mon emprise, comme je sens que ça va craquer sous mes doigts. Ta langue se débine déjà. Je vais pouvoir t’avoir juste pour moi.

Le pape!


Le pape ! Tu n’as jamais voulu rentrer dans les ordres, bateleur ? Oui, oui, je vois que tu as déjà imaginé devenir prêtre. Tu as des petites copines n’est-ce pas ? Non, non, bien sûr, je vois bien que tu es encore un vieux garç… heu beau jeune homme. Sois vigilant, tu vas être mis à l’épreuve. Des femmes vont t’aborder, tu vas être très sollicité. Tu vas pouvoir tester ta foi. Mais si tu te trompes, tu risques d’y laisser ta peau

Le pape ! Exigence, choix moral et aveux. Tu vas être mis à l’épreuve restes vigilant, la tentation va souffler dans ton oreille. Le pontificat, l’abruti, le tohu-bohu pointu. Tu recherches la guerre et c’est l’amour qui t’accueille, te réunit, te domestique. Avé Maria, cherche, cherche, cherche la boule d’or, le boulet, la combinaison, la camisole de force, attends, aspire et respire. Tiens, voilà du boudin qui vient te chatouiller le nez pour un festin bien gras, bien salace. Accepte sans condition, apprends la débauche et tu seras sauvé.

Horoscope


Signe de la roue, votre carte horoscopique ne présage rien de bon.
Ambiance Amour en solo : méfiez-vous des rencontres crapuleuses de chauves-souris aux ailes atrophiées, portant une perruque.
Santé : vous avez besoin de retrouver vigueur et souffle afin de faire tourner les personnes et diables qui voudraient vous causer du souci.
Travail : ne vous faites pas importuner dans votre tournoiement par des diables indélicats que vous rencontrerez prochainement
Finance : les roues sont une monnaie d’échange en vigueur à Marseille, pensez-y !
Amis : vous pouvez faire confiance à vos potes le monde, la force, la lune, le jugement, ils seront toujours là pour vous soutenir.
Famille : soyez plus ferme avec votre mari Fortuné, il prendra part également aux tâches ménagères.

Horoscope


Signe de la roue, votre carte horoscopique ne présage rien de bon.
Ambiance Amour en solo : méfiez-vous des rencontres crapuleuses de chauves-souris aux ailes atrophiées, portant une perruque.
Santé : vous avez besoin de retrouver vigueur et souffle afin de faire tourner les personnes et diables qui voudraient vous causer du souci.
Travail : ne vous faites pas importuner dans votre tournoiement par des diables indélicats que vous rencontrerez prochainement
Finance : les roues sont une monnaie d’échange en vigueur à Marseille, pensez-y !
Amis : vous pouvez faire confiance à vos potes le monde, la force, la lune, le jugement, ils seront toujours là pour vous soutenir.
Famille : soyez plus ferme avec votre mari Fortuné, il prendra part également aux tâches ménagères.

La roue de la Fortune et le Diable


-         - Arrête de me faire tournoyer, tu vas froisser mes ailes ! Tu pars d’un côté et de l’autre ! Je vais perdre ma perruque. Zut alors ma préférée !
-         - Ah ah ah ah mais avec tes petites ailes ridicules, tu ne pourrais pas voler sans moi. Stop ! Arrête de lacérer ma jolie robe avec tes griffes en plastocs ! Tu ne me fais pas peur ! Arrête ta mascarade, diable de pacotille, Sheitan en toc !
-         - Tu vas voir Roue de peu de fortune. Ce qui arrive à ceux qui défient et outragent le dieu des enfers. Je vais faire brûler ta robe exquise avec mes boules de feu de poitrine.
-        - Oh oh ,je suis touchée, je me meurs.
-        -  Vieille chauve-souris baveuse, je me vengerai, gare à toi, je vais m’enquérir auprès de la mort… Je reviendrai et tu mourras étouffer sous mes jupons.

Tourne Tourne


Elle fait tourner son œil unique. Cet œil divin qui va décider du destin des hommes. Ce globe oculaire tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, au début très lentement puis de plus en plus vite. Ces cils lui permettent de te voir et d’être un œil visionnaire.
Elle tournoie sur elle-même, de plus en plus vite, dans sa robe de soie rouge, jaune et beige et elle rit ! Puis, fragile, elle pleure, elle a froid, elle a peur ! Elle ressent toutes les émotions des hommes dont elle est la divinatrice. Parfois la belle vanité brusquement cesse de tournoyer pour repartir encore et encore, tel un derviche, distribuant la chance à qui le veut. C’est la roue de la fortune.

Bateleur


Un pied rouge, un pied bleu, une batterie d’accessoires contondants, assommants, une théière qui chauffe, livrant sa flamme aux mal léchés. Le bateleur s’est fait un trou à son gilet. Petit morceau de peau apparent qu’il faut recouvrir d’un morceau de tissu, d’un bouton poussoir, d’une couture à gros fil. Le pipeau à la main droite, le regard tourné au dessus de son épaule gauche. Quelle est la menace qui rôde ? Apprends-moi l’art de la guerre, celle qui montre les dents, qui louvoie et qui assène. Apprend-moi l’ultime secret du duel froid, à sang bleu, à coups bas. Je ne sais pas me battre, mais tu m’apprendras.

mercredi 25 septembre 2019

Vogue


Vogue, vogue, camembert à gros trous. Joue, joue, panisse et pantalon.
Longue est la houle. Houx à grosses toux.
J’ai un trou à mon genou, il se vide de pinsons, emportés par la vague, en volutes métal.
Glisse, glisse et plisse ton front, il y a l’ange qui combat ton démon. À tribord la mort, à la poupe, la houle, qui hoquette sa toux de mulets et mérous. Un festin bouillabaisse. Baise en eau et marmite.
Un agneau vient de naître, il nage avant de paître.

Qui suis-je ?

Pointu je suis. Je pique. Je raille. Ne vous y trompez pas. Je peux m'installer chez vous en douceur. Je serai votre vie en morceaux. Ne craignez rien. Je ne divulguerai rien. Je suis posé là. Je suis aimé ou pas. 
Qui suis-je ? 

Une casserole


Une casserole tombe, poussée par la bise. Elle était prisonnière de son bord de fenêtre. Ses fleurs s'évanouissaient. Elle ricoche jusqu'au ruisseau, ivre de liberté. Elle croise les truites. Un homme traquait les truites. Ses yeux se posent sur la casserole vêtue de cuivre. Ce qui l'intéressait, c'était ce qu'il y avait dedans. Comme il voulait l'attraper, elle lui dit de son sourire étincelant : à chacun ses casseroles. Inutile de m'y rajouter !

Un passé révolu

Il revient aujourd’hui et, à peine la porte franchie, une lourde sensation de vertige l’avait saisi.
C’était hier dans le triste après-midi de son retour à la vie. Sa maison, la damnation d’un passé révolu. Vitraux aux fenêtres, carreaux à pâquerettes, coccinelles au plafond, bourdons dans des bidons, des poils de chat dans le placard, la bave du crapaud dans le siphon, un sac de billes danse sur les touches d’un piano.
Il regarde ses chaussures vernies posées là, sur le sol, comme une relique d’un autre temps. Le pied dans son monobloc, tiraillé par l’envie de d’une foulée libre. Il s’assit, les yeux endoloris par les grilles qui ornent ses cils. « Cobra 400 : de retour à la vie », clignotait sur sa combinaison de survie.

L'orchestre s'envole


Un sac de billes danse sur les touches d'un piano. Les notes se métissent au creux d'une casserole. Que fait donc cette casserole au milieu de nulle part ? Elle s'immisce dans le sac de billes et les fait cliqueter. Elle reflète une clairière sans fin. Les arbres, les oiseaux s'animent joyeusement. L'orchestre s'envole. Il appelle les terres lointaines.

Ecoute


Écoute le bruit du mystère à la maisonnée des bois déments
Elle court la jument à la quête de son entier
Sensation délicieuse d’une jupe de velours sur ses flancs
Han Han, des coups, des secousses, au milieu des bois déments
Échappée de plumes, tourbillons nocturnes
Ecoute l’horrible dessein, la tasse à la main, de la femme vautour.

Au milieu de nulle part


Que fait donc cette casserole au milieu de nulle part ? L'ombre du vautour l'encercle. Que fait donc cette casserole au milieu de nulle part ? Elle reflète une clairière sans fin. Là, un piano à longue queue. Un sac de billes danse sur les touches d'un piano.

Une pluie sans bille


L'hiver, la pluie tombe drue, surtout le samedi, ce qui est un mystère, ceci-dit, la région se prête au mystère, on dit que des cathares ont vécu ici dans des grottes, surtout le samedi... Pourquoi dit-on ça ? C'est un autre mystère. "Le silence n'est pas d'ici" affirme une locution locale, cela se peut bien...le silence a des origines qui donnent le vertige. Dans la région, on m'a dit qu'il y a des vers à soie, mais peu de vautours, je préfère les oiseaux, mais bon...Je ne connais personne qui sache jouer du piano, ce n'est pas ce que je recherche, alors ça va...Certains oiseaux ont des chants de velours, mais ici, les oiseaux passent à la casserole. Dans ce coin, le sol est clément, il n'y a pas de sables mouvants, c'est déjà ça. Je viens chercher des sacs de billes, les billes intriguent en sensation les pies, et j'aime intriguer les pies. Mais là, il pleut, alors je ronge le temps en regardant des nuages sans âges, s'évaporer en pluie, un samedi d'ici. 

Une casserole d’eau qui bout


Une casserole d’eau qui bout dans le silence de la nuit. Sensation délicieuse d’une jupe de velours, qui effleure le poil soyeux du minou. Au sol, s’éveille son ronron baveux à donner le vertige à tout libidineux. Trois notes de piano rajoutent du mystère à la maisonnée des bois déments. Un sac de billes renversées qui scintillent au clair de lune et dissimulent l’horrible dessin, la tasse à la main, de la femme vautour, aux longs doigts, qui éteint la casserole d’eau bouillie.

lundi 27 mai 2019

FLEURS


Multi-tiges vertes, au bout desquelles de fines et longilignes fleurs roses se dressent. Rappel d'enfance, fleurs de grand air, campagnes, temps de vacances, présence printemps. Beauté des plantes, ciel bleu, terre brune. Grand ciel. Lien à l'enfance de graines, chaque floraison croisée de cette fleur, fleurit à nouveau l'éternel jardin des découvertes, à l'heure libre. Tête à tête avec la fleur. Lueur de la vie perçue, étendue du flot des plantes, balancée entre soleil et souffles.
Circulation de la vie en soi, perception d'être entre soleil et souffles. Deviner l'âme des plantes dans la sensation. Silence parlant de la présence. Lien au monde, ce qui pousse, être plante soi-même, être écoute, aux souffles du monde, à la lumière du moment.
Racines secrètes du passé. Être semé. Partir d'une graine. Danser de joie dans l'air de la vie. Prendre pluie d'émotions. Être couleur des vécus. Se prendre plante dans une lente ascension. Goûter au soleil au bord d'une fleur. Vivre l'étoffe d'une fleur, baigné dans la lumière. Sentir les présences fleuries, la flottaison des pollens et la grandeur du jour. Tour des mémoires imaginaires, dans l'envolée aérienne du principe des plantes. Respiration douce dans la descente. Responsabilité tendre dans l'amorce du moche. Prendre finitude, fané à l'occasion, finir dans un bouquet où le bar est ouvert.



samedi 25 mai 2019

Domine Dominus Nostre


Bouquet miniature légèrement flétri, aux bourgeons encore clos, aux couleurs pourtant vives. Tige vert tendre, ramifications à boutons, pétales rouges et oranges. Petite chose fragile, frêle si belle, à fleur de peau. Je l’effleure avec délicatesse. Création de la nature d’une beauté inouïe qu’on n’oserait toucher du doigt, fine comme une toile d’araignée. Il suffit d’un simple doigt pour couper l’œuvre finement ciselée. Je la prends plus tremblante qu’elle encore, le cœur battant à l’idée de la blesser, petit papillon délicat, j’arracherai tes ailes avec mes doigts. Plaisir d’enfant, qui briserait de ses minettes une simple pâquerette. Je résiste à la tentation d’une épilation punitive, viens que je te déshabille, tu ne seras plus si jolie.
Chandelier aux neuf branches, le Menora - une fête des lumières - fleuri de mille feux, victoire des macchabés sur les légions ennemies. Broche dentelée qui, la fleur au fusil, s’épanouit sur des tâches grenat et or. Spectre du vainqueur, qui envoie l’encens sur la foule en délire, cris, piétinements, brouhaha à volumétrie discontinue. Je joue de mon spectre et te le jette à la figure pour faire taire la révolte humaine. Je tiens fièrement ce bâton magique, inoffensif de prime abord, je lui confie le pouvoir de parler de moi, parler pour moi, ordonner, invectiver, faire sauter à pieds joints dans une mare à crapauds, faire pisser le plus loin sur le quai des bateaux. Assis, Debout, Coucher, Brailler, pas Bouger, Brailler, pas Tanguer, Droit comme un i, mou comme un pissenlit.
Je suis bien sur mon perchoir, à adouber, dresser, malmener les manants. Assez. Assez. Restez à mes pieds. Ne vous approchez pas de moi, je ne veux pas me mélanger et perdre mon spectre à grenats. Pourquoi cette envie de pouvoir ? Être maître de l’autre, ne serait-il pas un palliatif à être maître de soi ? « Domine Dominus Nostre » louange à Dieu, créature divine, j’accueille ton don et me plie à la nature qui m’est propre. J’accepte de cacher ma fragilité sous le sceau du commandement. Alléluia et tu m’entendras.

L'orchidée


Je vois des pétales blancs collés les uns aux autres avec plus ou moins de tâches violettes. Au centre, se trouve une coquille ouverte, l’intérieur est jaune et légèrement mauve. Cette fleur repose sur une tige verte légèrement incurvée.
Elle me rappelle les tâches d'encre sur un buvard, elles s’éparpillent grossissent de plus en plus et de plus en plus vite. Les formes me font penser à des nuages qui avancent lentement pousser par une douce brise. J'aime cette fleur parce qu’elle est atypique, c'est un mélange de couleurs.
Courbe généreuse ouverte à la lumière, son cœur est transparent et forme un rond presque parfait. Au centre, un point blanc irrésistiblement attiré par un pétale courbé qui veut n'en faire qu'une bouchée.
Elle me murmure que la différence est une force et qu'il faut lâcher prise, se laisser cajoler, emprisonner sans crainte, faire confiance, vivre intensément.
La fleur se transforme petit à petit en une femme épanouie, libre d'être elle-même, d'ouvrir son cœur à qui elle veut.

La Rose


Je vois une rose rouge pourprée rabougrie. Ses pétales sont flétris et leur couleur a sûrement connu des jours meilleurs. L’intensité s’est perdue mais la rouge teinte n’a pas encore disparu.
Sa tige est dépourvue d’épines.
La rose, larmoyante, n’attaque plus, ne pique plus.
Trois fines branches, au bas de la tige, se détachent du tronc qui les a vues naître.
Moins endormies que les pétales à l’agonie, elles demeurent pourtant endolories.
Les feuilles ont des tâches.
Au sein de l’une d’entre elles s’est formé un nuage filandreux.

Une majesté passée.
Cette rose fut belle, entourée et riante.
Cette rose est frêle, empêtrée et criante.
Une reine devenue peine.
Le temps passe et frappe.
L’éclair foudroyant du sablier qui lentement s’écoule l’a menée à sa propre solitude.
Condamnant Narcisse au trépas de sa grandeur, les aiguilles assassines l’ont conduit vers les abysses de sa laideur.
Une femme dont la courbe fut ondulée et la démarche indolente.
Le miroir lui renvoyait une silhouette parfaite sans faille ni défaut.
Elle se disait irrésistible aux gens et au temps.
L’épée de Damoclès est tombée.
Le gong a sonné.
Les compliments révolus, le corps de la femme s’est tu.

De faibles épines sont apparues.
On dirait les poils naissants de la barbe d’un pré pubère.
Le cœur des pétales endormis en laisse percevoir la naissance jaunie.
Quatre très courtes ramifications végétales ont éclos sur le tronçon de tige qui sépare les trois fines et longilignes branches de la partie à risques où se sont implantées les esquisses de pic.
L’autre côté est aplati.
La fleur trop longtemps du même côté est restée assoupie.
Il y a des tâches noires aussi sur les pétales.
Dispersées, elles cohabitent avec de la moisissure marronnée.
La rose a été arrachée.
Son pied a été disloquée, saccagée.

A la fois enfermée dans le regard de l’autre, je suis libre de lui montrer pas à pas la diversité de ma personnalité.
Les passerelles et le temps diluent les gens.
Des échanges et des reprises rendent impossibles le cantonnement au seul premier jugement.
Je ne m’imaginais pas tomber amoureuse de cet homme qui m’était au départ si banal et normal.
On apprend à connaître, par soi-même et par l’intermédiaire de la mémoire des autres.
Je me sens revenir à des considérations réflexives et ne parviens à faire l’effort d’entrer à nouveau dans l’univers pur et poétique des mots désintéressés.
Ma vie me revient, mes légers soucis et tracas du quotidien.

Je n’ai pas respecté la précédente étape.
Je n’ai pas transformé ma rose.
Rose elle est restée, de laide devenue belle.
Sa beauté ne s’est pas évaporée, non point inchangée, seulement modifiée.
Différent il est possible de l’être, dans le temps, dans l’espace, avec les gens.
Apparence et intériorité se confondent dans un discours qui rappelle que cette dissociation ne fait sens.
Je suis ce que je dégage et ce que je renvoie participe à la formation incessante et ô combien infinie de mon être.
Je ne sais plus quel terme employer dans ce fouillis de mots qui mêlent maladroitement intériorité, fatalité, psyché et esthétique.
Mon esprit se perd dans un dédale capharnaümique de considérations éperdues.
On aime plaire. Est-ce un mal ?
Passer du temps à se coiffer, est-ce superficiel ?
On consacre du temps à se préparer, sacrifie-t-on son corps sur l’autel de l’artificialité ?
Je m’épile, suis-je antiféministe ?
Je m’adapte aux situations et parfois ris par politesse, suis-je hypocrite ?
Jusqu’où s’entremêlent aspect et pensées ?
Jusqu’où puis-je maîtriser mon image avant d’en être complétement dépossédée ?
Le regard de l’autre me tient-il avec la même fermeté que la main du cocher son harnais ?

Pourtant le regard de l’autre peut être bénéfique, salvateur et prolifique.
Il peut mener vers des sentiers inconnus et nous faire découvrir des images restées tues.

vendredi 3 mai 2019

Une Formule



Qui es-tu donc toi, donc ? Je ne te connais pas ; Il me semble que tu as pris ma place… Que tu usurpes mon identité.
Viens-tu de Chine ou d’Alabama ?
Tu n’as pas d’âge, ou plutôt l’éternité te traverse ; tu es l’infiniment grand et l’infiniment petit.
A quoi bon te parler puisque tu n’entends rien, puisque tu n’as pas d’oreilles ?
Mais je persiste… Un dragon d’eau ? Un aigle vengeur ? Un martin-pêcheur ? Où sont tes ailes ?
Je vois ton bec et tes yeux fixes ; ton bec qui croque la vie, l’avale et la régurgite sous forme d’étoiles…
Tes yeux fixes me regardent, me scrutent, comme je te scrute et nous nous scrutons l’un l’autre indéfiniment.
Qui es-tu donc ?
Ton destin me laisse sans voix.
Je ne sais qu’une chose, c’est que tu cries pour me faire taire.
Je viens de loin-on m’a inventé- je me souviens- ma construction a longtemps duré- je suis resté inachevé pendant des années- mon créateur était mathématicien.
Il m’a construit par palier… Ça lui est venu d’un coup, et la première fois, la première ébauche lui a plu.
Puis il m’a laissé en chantier… J’étais troublé, angoissé ; je me disais « Finira-t-il son œuvre ? Existerai-je un jour ? ».
Au début, je ressemblais à pas grand’chose, un alignement de chiffres, de lettres et de ratures ;
plus tard dans le temps, au gré de ses éclairs de génie, j’ai pris forme et j’ai commencé à avoir de l’espoir !
J’existerai, j’en étais sûre !!!
Je me structurais sous sa plume, sous ses réflexions, par ses dialogues intérieurs ;
J’étais comme une sculpture dont les coups de burin de l’artiste arrivaient violemment, par surprise, à des moments toujours inattendus et peu appropriés.
Mais mon mathématicien devenait vieux, son cerveau perdait de sa plasticité, il se répétait, il se décourageait plus souvent aussi.
Il m’appelait « sa formule » ; j’avais un nom ; c’était déjà cela mais le nom ne suffit pas à faire une existence, une vraie, bien solide…
« Sa formule »…J’étais souvent froissé, je finissais en boule dans la poubelle ou en cendres dans la cheminée ;
J’étais là et l’instant d’après, je n’étais plus.
Combien de fois suis-je rené de mes cendres ?
Combien de fois, déchiré puis reconstitué ?
Forcément, depuis, je crois à la Vie éternelle ; la Mort n’existe pas pour moi ; ça me rassure ;
Mais ne pas mourir ne signifie pas forcément exister !
Et puis un jour, le miracle s’est produit : mon mathématicien a achevé ses tribulations intellectuelles et je fus enfin complet.
Je tenais debout, j’étais structuré et aucune démonstration ne peut, depuis, me démolir.
Je suis solide pour l’éternité et mieux encore, on parle de moi depuis des siècles, je suis connu, je suis célèbre…
Je commence même à penser par moi-même, pour échapper au carcan des calculs infinis ; je pense, je réfléchis, je me penche sur mon identité de formule… Alors tout tangue, tout bascule, je ne suis plus sûr de rien, je doute…
Heureusement, un matheux vient vite me remettre son mon chemin de formule, immuable, intangible.
Ça me rassure mais je m’ennuie.
Un chercheur s’intéresse à moi.
Il me lit, me relie mais ne me relie à RIEN.
Je suis chaviré, mis en pièces ;
Je me dissous dans l’univers, mon corps se désagrège et rejoint les arbres millénaires qui m’ont vu naître ; j’étais connu et ne suis pas reconnu par lui…
Mes mots, mes lettres, mes chiffres ruissèlent le long de mon corps et s’enfouissent dans mon cœur.
Je n’entends plus, je n’ai plus d’oreilles puisqu’il n’entend RIEN à ce que je suis.
Ma bouche s’aiguise pour le déchiqueter.
Je pousse un cri rauque.
Il est MORT. Il ne me narguera plus…
Je suis défait et les morceaux éparpillés de moi aux quatre coins du Monde.

La file d'attente


Ma peau est blanche. Enfin, rose. Enfin, beige. Enfin, vous voyez. Là, elle est noire, un peu grise, mais noire quand même. Je me reconnais toujours, c'est bien moi, mais en noir. Mon nez est le même, mes sourcils sont les mêmes, quoiqu'un peu ébouriffés à la base. Mes cils sont écrasés au coin externe, ça coupe le blanc de mon œil (et ça fait mal aussi, je ne savais pas que c'était possible, d'avoir mal aux cils). Ma bouche est un peu zébrée mais c'est bien elle. Mes cheveux sont plaqués sur mon front, ça me donne l'air fatigué mais rien de plus. Non, ce qui change vraiment, c'est cette marque. Cette échelle, cette cicatrice, cette balafre. Elle ressemble à une vilaine tache de naissance sur ma joue, à une brûlure, à une décoloration. A peine noire, ma peau se dépigmente déjà. La couleur ne tient pas : sur les ongles, le papier, le tissu, les cheveux, les murs, elle ne reste jamais longtemps.

Je fais la queue depuis des heures. J'exagère sans doute. Au moins depuis une demi-heure. C'est long sur cette terre, une demi-heure. Ce sont ces longues files d'attente où l'on avance d'un quart de pas toutes les trente-quatre virgule six secondes pour se donner l'impression d'un mouvement constant et avec, encore un peu de patience. A cause de ma peau devenue noire mais à moitié dépigmentée, je dois refaire mes papiers. Apparemment, on ne me reconnaît plus sur les photos.
Quand vient enfin mon tour, j'annonce pourquoi je suis venue ; je dois refaire mes papiers. L'agent me demande pourquoi, et si elle périmée, et depuis combien de temps. Puis mon âge, où j'habite où je suis née... On peut tout oublier dans ce monde, jusqu'à en croire que la terre est plate, mais on ne peut oublier son adresse. Je l'écris, six fois. On peut oublier le goût des fraises, de l'artichaut et du poulet, mais pas le deuxième prénom de sa mère. Je l'écris, trois fois. On peut perdre son chat, ses clefs, sa langue, son chemin, sa vue, mais on ne perd surtout pas son lieu de naissance. Même si on n’y est jamais retourné. Ça nous colle à la mémoire.

L'identité, tout le monde en parle tout le temps. On en débat jusqu'à la nausée, dans des discussions sans fin parfois retransmises en direct à la radio. On ressasse encore et encore notre identité perdue, compromise, attaquée. Mais personne n'en est sûr, et personne ne sait vraiment ce qui est perdu, attaqué, compromis. Moi, en tout cas, je n'en sais rien. Je croyais faire partie des personnes au visage lisse et me voilà avec une échelle, blanc sur noir. Comme un zèbre : ils sont noirs rayés blancs, et pas l'inverse. Eux, c'est certain, ils ne perdront pas cette identité-là.

Tandis que je remplis encore et encore des cases sous l'œil inattentif de l'agent, un courant d'air glisse contre mon bras. Mécaniquement je tourne la tête vers la porte, elle est en train de se fermer lentement, mais personne ne semble être entré. Mon regard descend le long de l'interstice des deux battants et au sol, un petit animal avance par bonds prudents. C'est un lapin. Vu sa taille, il est adulte, et ce n'est pas un lapin nain. Il est blanc, entièrement, et ses yeux sont rouges. Le lagomorphe est un albinos. (Oui, je m'y connais en lapin, autant qu'en zèbre).
Il a l'air perdu, je ne sais pas ce qu'il est venu chercher. Il semble se diriger vers la file d'attente mais, petit comme il est, il risque de se faire piétiner. Le plus étrange c'est que personne ne fait attention à lui. Il finit par s'installer dans la queue et attend sagement son tour. Les lapins voient mal, donc il avance doucement la tête à chaque pas.

Je me demande vraiment ce qu'il fait là. Si ça se trouve lui aussi perd ses couleurs, du coup il doit refaire ses papiers. Quand vient son tour, il saute sur la chaise de l'agent et attend qu'on lui donne le formulaire. Même les lapins refont leur carte d'identité, et eux doivent donner la liste de leur vaccin.