Elle est partie, passant par le
garage. Ne pas être vue. Dans la rue, elle court. Son cartable dans son dos
bouge. Alexandra entend un grondement, elle s’enfuit, le train qui longe la
route n’est qu’un petit bruit dans sa tête. Dans sa tête ça ne va pas. Elle est
trop colère, alors elle court. La rue est vague dans ses yeux, des yeux
entourés sont unités. Elle garde ses larmes et elle court, rien ne la gêne, ni
son anorak, ni son châle qui ramène ses longs cheveux qui dansent. Elle
s’enfuit, sans un cri dans une dédale de rues. Bientôt midi dit la lumière dans
le chahut de la ville. Elle court vers son papa, un papa qu’elle croit voir et
son cœur bat alors la chamade. Mais ce n’est qu’une ombre, un piéton qui
disparaît. Elle tourne autour de la grande place, sans se lasser, les grandes
fenêtres du bâtiment officiel sont fermées, cet hôtel de ville sinistre. Elle
passe avec des pensées tristes, la préfecture sa mauvaise mine sur elle, les
harcèlements du monde les démontent. Son papa n’est plus qu’une image dans sa
poche.
samedi 25 novembre 2017
Sophie Calle
À Montmartre, j’ai toujours aimé
passer des heures assises devant la sortie du funiculaire à observer les
touristes grabataires, incapable de monter les marches. J’avais 14 ans et je
tenais un cahier répertoriant les types d’individus : en surcharge pondérale,
en fauteuil roulant, en béquilles, en pleine forme mais allant se faire un café
dès leur arrivée, paresseux par essence. Je les regardais tous avec avidité
jusqu’à ce qu’elle arrive, elle, la grande demoiselle au chapeau fleuri,
élégante, debout, souriant et digne. C’était bien la première fois que je vis un
tel personnage, venu d’une autre époque. C’était bien la première fois que je
quittais mon promontoire pour suivre ce halo lumineux, cette femme
charismatique, qui subissait railleries et regards réprobateurs sans jamais
sourciller. Mais c’est pourtant la plus belle chose que je vis sur terre.
Androïde Femelle à Lunettes
Pour mener à bien toute étude
chromosomique du monde insatiable qui nous entoure, commençons par passer
méticuleusement en revue le sujet qui nous intéresse présentement, soit
l’androïde femelle à lunettes. Il est à observer son bras de cuivre articulé,
sa brune pupille dilatée et avide d’images, ses orifices nasales pour respirer
l’air et simuler un va-et-vient régulier du diaphragme, signe de vie. Si on
prend du recul et que nous considérons l’individu mi-homme mi-machine dans son
ensemble, il apparaît tout bois dehors comme ceux du cerf commun qu’on trouvait
dans les grandes forêts continentales. Ces bois disposent de capteurs, faisant
guise d’antennes réceptives douées de sensibilité à la douleur, à la chaleur,
au froid, à l’humidité, ses réactions fortes de rebellions en étant la preuve.
L’objet est doté d’autres atours réactifs à la stimulation. Un simple pincement
de la mamelle génère un flash dans ses lunettes et une excitation pubienne.
Nous avons cessé toute amorce supplémentaire, s’agissant de rester en vie et de
se mettre l’androïde dans la poche.
L'invasion des chats
Il y a 348 ans, six mois et 19
jours que les parisiens s’éveillèrent au bruit assourdissant des miaulements de
chat. La ville tout entière était envahie par des centaines de milliers de
chats. Les habitants comptaient les jours et enduraient le supplice infligé par
ces félins sauvages qui retournaient les poubelles, qui se précipitaient dans
les maisons pour investir les lits, fauteuils et multiples coussins de la
ménagère. Les ravages s’amplifiaient avec les amoncellements de crottes qui jonchaient
les rues, les cages d’escalier, les coins de couloir. Ces crottes qui ne se
désagrégeaient pas. Sans compter les effluves pestilentiels de leurs urines qui
piquaient les yeux et grattaient le nez. Et c’est face à ce constat que
Romuald, grand personnage aux yeux clairs, aux larges narines et à la peau
rongée par les morsures de puces de ces affreux envahisseurs, devisait devant
une assemblée armée jusqu’aux dents, prête à faire feu. Deux stratégies :
· > éliminer l’animal
· > éliminer la source du pullulement : les
personnes âgées et leurs écuelles de nourriture
Un serpentin
Ce matin, à côté de Sonia, avec
son cartable dans le dos, bouge un serpentin et il lui tire, une fois, deux
fois, comme pour l’emboucaner. Le bus roule, celui qui longe les routes, le
long du littoral, des minutes très longues ! Mal de tête ! Oui, dans sa tête,
tout se bouscule, ce jeune lui parle, moquerie, colère, alors, elle court en
sortant, il la suit, en lui touchant l’épaule et lui dit « tu veux bien venir
avec moi ». Elle s’était fait un film, un stress et lui, ce gamin, il voulait juste
flirter. Dans ses yeux, les larmes pour rien, elle court, plutôt fait de grands
pas, honteuse, sa jupe plissée se coince, elle trébuche, il la rattrape pour
qu’elle ne tombe pas, et ils dansent.
Bataclan
Ils étaient tous au Bataclan, ce
11 septembre. L’ambiance était là, ils profitaient de la musique et tout à
coup, la Ville de Paris pleure ! C’est le chaos… tout se noircit comme si le
ciel tombe, les jours comme cela, des supplices, des cris, des mots d’horreur, et
du sang, des larmes, tout est perdu. Les rues, les voitures, les maisons sont
plongées dans ce marasme, des tirs, des bruits, des hurlements, le pire vient
de surgir, horreurs, tueries, amoncellements, des corps sont tombés… des
oiseaux en cage s’envolent très loin, tout devient glauque. Couchée sous la table,
j’ouvre enfin les yeux, mais juste à mi-clos, toute la pièce est couleur sang,
les tirs ont leurs fins, elles crient, des yeux sans vie, des mots cinglants,
des cris, des vitres explosées ! Un grand personnage se tient contre un mur,
incapable d’agir, de marcher, sa peau moite et salie, des éclats de sang des
autres, ils sont terrifiés, ils les voient les secours, les pompiers, le SMUR,
et l’armée juste là devant lui, ils donnent tous les premiers secours, prennent
les blessés pour hôpital, les ambulances commencent le défilé, emmène ces
pauvres gens ! Percutés, détruits, loin de leurs sources, ils pleurent tous,
les mains dans leurs poches.
L'église de Montmartre
Ce matin, des sons de la nouvelle
chapelle retentissent. L’église de Montmartre ancrée dans ce paysage urbain,
devant quelques arbres bruissant, avance quelque part, monte les grands
escaliers, là où la lumière du jour pointe le reflet d’un petit matin qui
s’éveille, des nuages glissent, le ciel bleu posé dans ce seul ensemble,
vieilles pierres, une grande montée d’escaliers, celle qui amène tous ces gens,
les badauds, mais aussi les touristes fortunés, les amateurs du soleil levant,
les artistes, aussi cette grand-mère née dans cet arrondissement, à contempler,
à rêver… Une simple lumière, un reflet du soleil, tout cela devient merveilles
en plein centre de notre méga capitale, la belle Paris ! Elle flâne, et
part, l’immensité de la ville, les lumières au loin, les couleurs mordorées,
les roses, ouvre son imaginaire, évasion au Kenya, panthères, lions, éléphants.
Elle est avec des jumelles dans sa jeep, vêtue de sa saharienne kaki, les
cheveux serrés autour d’un élastique noir, elle observe là, loin de tout, elle
touche la liberté.
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