Le juge
jauge d'un silence. Dans son bureau austère, son silence glacial, s'adresse à
un interpellé, qui répond d'un mutisme obstiné. Une avocate est là, mais si peu
présente qu'elle est muette, comme une fluette chaise, malhabile où personne ne
peut s’asseoir, tant une impression de fragilité monte d'elle. L'interpellé,
comme le juge, savent balancer des phrases, coupantes et fines comme des idées
tueuses. Quand chacun parle, ça fuse comme à Paname, dans un lupanar où l'orgie
le dispute au bruit. Chacun dans sa catégorie, le juge en manière de légalités
assénées, et de la force qui doit rester au droit. L'interpellé, voyou aguerri
qui conteste constamment avec un aplomb plombant, et une moquerie certaine, la
bienséance, et le rituel établi des accusateurs, justiciers implacables et
froids. La narquoise, dépréciation de ce viveur des rues, encore jeune, glisse
avec débordement, sur l'assise certaine de l'homme un peu vieux, doté d'une
maturité d'expériences et d'une tranquillité méritoire, ce juge tenace. L'avocate,
elle, au milieu de cette joute, ou personne ne cède d'un pouce, tâche de douces
paroles, d'apaiser la vivacité de son client, en veine d'inspiration
quasi-outrancière. Tout cela dure, dans l'ambiance sinon feutrée de ce lieu
petit.
L'avocate
ne cesse de fondre, tant, son loquace client et la diatribe du juge, passent
au-dessus d'elle, ou en bas de tout ça, elle fait figure d'un petit soldat
égaré au fond d'une tranchée.
C'est
alors qu'au détour des échanges, celui mis en cause, parle d'une affaire qui met
mal à l'aise le représentant d'une institution, réputée trancher aveuglement.
L'avocate hors circuit, ne remarque pas cela.
Le
convocateur, du soupçonné coupable, vacille un peu, grince dans son
fonctionnement, un malaise perceptible lui fait perdre de son assurance.
Le voyou, habile en rajoute et domine, maintenant, vertement la situation. Le
juge s'en sort, en mettant fin à la séance. Une fois le prévenu renvoyé en
maison d'arrêt, le juge seul respire un peu mieux, tout songeur, cependant de
l'affaire évoquée, par le délinquant et dont lui, juge avait dû se prononcer
dans le passé et un embarras.
Voici les
vacances, débarrassé pour un temps de sa charge, le juge, loin des soucis et de
la ville, dans un monde forestier, solitaire faisant de longues marches en
zone, où les arbres abondent en masse forte, où l'homme vient peu. Dedans,
règne une ombre et du violet, dedans, un souffle étrange caresse l'existence.
Le bon marcheur, continue sans faille, à déployer sa vivacité dans cette
nature vivifiée. Peu à peu glissant dans ce pays, il se sent devenir ombre et
squelette. Un frais chemin l'absorbe, infiniment tournant, il coupe et recoupe
les arbres élevés et tourne autour d'eux comme une pratique magique. La volupté
du cercle, organise quelque chose, qui dépasse l'entendement. Il respire la
tourbe, ocre, de cette terre glaise. Il flotte comme une chose, emportée par le
courant de la vie. Il sent la courbe et le gluant des sensations, dans ses
souliers d'arpenteur. La forêt n'est plus qu'un noir puissant, tant l'ombre est
fantasque, nuit végétale sans égale. Dans l'endurance et la panoplie des
ressentis, prenant la place dans la longévité du monde. Il se croit dans une
mangrove, d'une eau définitivement trouble, jaunâtre et un peu saumâtre,
baignée d'élégants serpents et de poissons bleus. Le son est percutant, comme
un bon tambour des brousses inventées, peut-être un sort de la sève tenace, qui
élance les arbres vers le ciel invisible, dans l'antre de la forêt masque et
haute. Ce son est une hallucination de réactions.
Le voilà
de nouveau, dans l'inconfort de son bureau minable, placidement acide,
d'insignifiance au regard de bien des choses. Devant lui, le fourbe au visage
taillé à la serpe et faisant des verbes saillants, et à côté, petite et
toujours douce, d'intention ou de lassitude, l'avocate fait sa part de
faiblesse. Le juge, se souvient de l'affaire du bûcheron d’Angoulême, retrouvé
noyé dans une piscine olympique, tandis que le suspect certain, débite toute
une série de mots débilitants. D'un coup, d'un mot, le juge voit soudain,
l'interpellé comme un tigre blanc, aux yeux jaunes striés de noir. Le juge sans
effroi, pour reprendre ses esprits, observe un peu l'avocate toujours douce,
paisible et inoffensive. Le juge, dans l'instant, se dit qu'un chamane l'a
magicené de noir. Il pense alors, à un pic-nique d'enfance, où son admiration
pour une fourmi égarée, lui avait donné le sentiment d'être une fourmi. A peine
cette pensée émise, qu'il devient fourmi géante, dont le regard, décidé égare
d'épouvantes, le tigre dominé par cette vision terrible. Trois humains, dans un
semi-brouillards sont là dans sa conscience élastique, de tant de phénomènes.
Une odeur d'arbre envahi le juge et un vent frais lui caresse l'esprit. Alors
bien de retour dans le terre à terre, il entend l'interpellé reconnaître les
faits reprochés, qui vont le condamner à vivre, un peu comme une fourmi perdue
dans les couloirs d'une fourmilière qu'est une prison d'Etat, tandis que
l'avocate médusée se pose enfin des questions sur son rôle, et cela
intérieurement, bien que son hébétude, ne cache rien de cela.
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