mercredi 28 avril 2021

Rhododendron

 J'ai fait l'acquisition d'un jeune rhododendron cet hiver. Comment savoir si l'emplacement que je viens de lui choisir dans le jardin lui conviendra ? Je n'ai pas pu résister à la promesse de tous ses bourgeons, déjà prêts pour l'été suivant. Certains n'ont pas survécu et je suis inquiète. Je l'observe tous les jours pour savoir s’il se plait ici et s’il me tiendra longtemps compagnie. Le bourgeon de rhododendron est d'une complexité absolue. Rien à voir avec le petit bourgeon timide qui donnera une fleur et puis peut être un fruit. Lui, il cultive la complexité. Il est à lui seul le futur de la branche, de la feuille et de la fleur. C'est un bourgeon qui n'est pas timide, qui voyage groupé. Pas question de rester planqué sous les branches mais sans arrogance il donne forme au buisson, cet aspect massif et en devenir invite à la rêverie.

Celui que j'ai cueilli est un entre deux. L'explosion est à venir. Il déploie de petites feuilles et garde au cœur en petites bourses gonflées et lisses la fleur qui attend son heure. Le centre est encore fermé mais la courbure des feuilles, vers l'extérieur ne laisse aucun doute. Aucun mystère, le voyage est annoncé depuis longtemps, le comment, le pourquoi, le quand. Pourtant le jour venu de la libération de la fleur, je sais que je serais émue de son apparente fragilité.

Il est à la fois synonyme d'unique, d'une temporalité sans surprise et d'infini, de permanence de la nature. Son chemin, cadeau de la vie, est tout tracé.  Le bourgeon n'a aucune capacité d'intervention, il est né pour nous dire la saison, se gaver de soleil, ouvrir ses bras, laisser s'épanouir la fleur, lentement doucement et s'offrir aux oiseaux et au vent. C 'est une invitation au don, à l'amour, à l'accueil inconditionnel.   Cette réalité me saute au visage, dans ce monde ou les conseils fusent sur le : « rapprochez-vous de la nature, respirez là, laissez-vous imprégner, le bien être est au bout du chemin », ce bourgeon est le bienvenu. C'est une beauté brute qui s'offre à mes yeux, la savourer c'est accepter le vivant, la possibilité d'un tout en perpétuelle transformation qui respecte autant les racines que les nuages, 

Ce serait si simple de suivre cette voie, de laisser venir la vie à soi, d'être comme le bourgeon sur la branche, jouer sa partition comme elle vient sans se poser de la question du pourquoi et du comment. Et le mien chemin ? Cadeau ? Ma propre métamorphose est inscrite elle aussi. De nouvelles rides et raideurs me le chantent tous les jours. Mon corps parle, dans les moments de grande paresse, j'invoque la déesse destinée pour me dédouaner de toute responsabilité et me susurrer à l'oreille : « c'est normal, tu n'y ai pour rien, c'est génétique les rondeurs, tu ressembles à ta grand-mère » Alors, j'évite de penser à tous les kilos de chocolats dévorés, l'appétence démesurée pour le bien salé et le bien gras. La rébellion mal placée me fait dire que puisque la vie est un cadeau j'en fait ce que je veux ! Il y a longtemps, la vie m'est tombée dessus, j'ai regardé autour de moi, elle était à personne, alors je l'ai mise sous mon bras et j'ai avancé sans me retourner. J'ai gonflé mes joues et ma poitrine comme le bourgeon, à bloc. L'éclosion était toute bizarre, je le ressens encore. A 10 ans j'avais la tenue et à 14 ans j'ai tracé la vie comme un sport de combat. Un seul adversaire ... moi et les moulins à vent. J'avais l'instrument mais comment en jouer ? Raccrocher les gants et aller demander conseils aux arbres, aux fleurs et aux montagnes à pris du temps. La rage, la colère n'ont jamais pu s'exprimer pour laisser la préférence à la rapidité et l'esquive.

Mais pourquoi a-t-il fallu que j'obéisse à cette invitation à l'écriture et que je te cueille ! Aveuglée par le désir de rêverie, de jubilation à mettre en mots j'ai oublié que tu ne m'appartiens pas. J'ai tué ta vocation à être, à produire une magnifique fleur qui aurait pu inonder l'espace de ses odeurs et de ses couleurs. Il faudra que j'attende encore patiemment que ceux qui ont échappés à une main sauvage fassent tout le voyage pour connaître ce que tu aurais pu devenir. Je vais te laisser sur le coin de la table pour ne t'oublier et te dire le moment venu les belles couleurs de la robe que tu devais porter.

Barbare que tu es, arrêtes de piétiner le vivant, regardes toi, avance, ouvre les bras, respire et expire. Laisses monter la colère pour une victoire à l'arraché, laisses grandir cet espoir acharné que toi le petit grain de sable n'est rien mais indispensable, donnes du sens à cette rage profonde qui t'anime, Ta petite tragédie quotidienne n'est pas grand-chose alors pourquoi l'ignores-tu. Quitte ce ring, piste de danse ridicule. Il n'y a plus rien à défendre, que des rencontres et de nouvelles expériences à vivre. La curiosité est ton nouveau point d'horizon.

La vie est un cadeau jusqu'au dernier souffle et le tien, tu en fais quoi ?

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