Je ris. Je ris aux éclats, assise sur ma chaise, le soleil brûlant le
sommet de mon crâne. Je bascule la tête en arrière, les dents offertes aux
rayons lumineux, que m’offre ma pièce sans toit. Mes yeux, plissés par le rire,
me laissent entrevoir un moineau sur le pan du mur brut. Il essaie de piailler
plus fort que moi, je me mets à siffler comme lui. Mon moineau voyeur chante à
tue-tête. Quand un chat vient bondir sur lui. Le moineau s’envole et le chat m’observe
de son œil mystérieux. J’ai cessé de rire, je connais ce chat. J’ai conscience
qu’il le sait, il vient m’avertir. Oui, je le remets, c’est le chat de mon papy,
il rôdait dans la maison, comme une âme en peine, tandis que les gendarmes
cherchaient papy, parti en errance sur la commande de son capitaine Alzheimer.
Mon papy était un peu farfelu et j’avais toujours peur qu’il ne fasse de
mauvaises rencontres. Des chatouilles viennent interrompre mon tête-à-tête avec
le chat, je reprends mes rires de petite-fille, le buste plié en deux cette
fois, je bascule vers l’avant, les larmes coulent sur le visage, tellement le
rire est fou. Quand soudain, un claquement de porte interrompt ma joie.
Silence. Faites entrer l’accusé.
Le gendarme vient détacher mes liens sur ma chaise, mes poignets ne
sont plus que de deux os, alors que mes mains et mes bras sont rosés et potelés.
Je cherche du regard de chat qui n’y est plus. Le soleil non plus d’ailleurs.
Un grand coup de froid est tombé sur mes épaules. Le gendarme à des barbelés à
la place du sourire et des barreaux à la place des yeux, et me montre de sa
main, dont les doigts sont des fourchettes, la porte grande ouverte. Un souffle
glacé vient m’enrouler la taille comme un ruban de chamallows et me tire vers
le noir. La chute dure. Eternel battement de mes pieds palmés, de mes ailes
sans plumes, de mon front en forme de visière pour faire résistance à l’air.
Réception sur une boule de mousse vert pomme. Je replis mes ailes, je
ferme mon front, mes yeux s’allument sur deux ampoules, deux bulbes jaunes. J’ai
la tête du chat. Heureusement pour moi, mes poils me protègent des branchages
de la forêt. Une forêt faite de ronces, de lierres, de chauves-souris à l’envers,
de corbeaux qui crissent, de jus de betteraves qui coule des arbres. Je m’avance
à pas feutrés, poussée par les cris des damnés. Je suis chat et déploie mes
petits coussinets pour amortir les blessures du sol, fait d’écorce, d’épines,
de carapaces de cafards et de cerfs-volants. Je suis mon intuition de chat et le
laisse me guider là où il sait aller. Je mâche quelques pattes d’araignée, j’avale
quelques coléoptères, je régurgite un squelette de moineau et je vois dans la
lorgnette de la forêt un peu de lumière, un rond de lumière, ou un œil m’observe
de l’autre côté du monde. Je crois reconnaître l’œil de Papi.
Une geôle. Une femme ronde, aux joues couperosées est assise sur une
chaise. Une camisole de force entrave ses mouvements. Seule sa tête bouge d’avant
en arrière dans une crise de folie furieuse. Elle imite le cri des oiseaux. Vlan.
La porte s’ouvre. Un homme en blanc, un tablier autour des hanches, apporte une
assiette d’un vert tendre. Et vient lui donner à manger. Il passe autour de son
cou, un long bavoir en tissu élastique. La jeune femme ouvre sa bouche en grand
pour chaque becquetée que lui donne l’infirmier. Elle mange avec appétit et
ingurgite avidement chaque coup de fourchette. Au menu, des épinards en
branche, des dés de betteraves, des ailerons de poulet, dont elle recrache les
petits os à même le sol, et pour finir, trois carrés de chocolat, qu’elle fait
craquer dans sa bouche. La pièce pourtant isolée laisse résonner les cris des
voisins de chambrée. Le repas terminé. L’infirmier passe un linge humide sur le
visage de sa patiente et referme la porte. La jeune femme reste figée, un
temps, le regard fixe vers le judas de la porte. De l’autre côté, son
grand-père l’observe. Soupir.
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