Deux
yeux triangulaires, les paupières tombantes de chaque côté, couvrant presque
les pupilles, des cernes appuyées, un air triste et fatigué. J’ai les sourcils
en bataille, pas droit. Broussailles poilues et immérité. Un nez de travers,
j’ai une narine plus étirée que l’autre, qui laisse apparaître le cartilage
gélatineux prolongement de mon os nasal. Un teint bicolore, clair jusqu’aux
pommettes, avec des stries comme des scarifications qui tracent des lignes
parallèles, qui tombent sur la deuxième partie de mon visage, foncé. La barbe
noire, mal rasée des matins pâteux, une bouche à peine perceptible, et pour
couronner le tout, j’ai des boucles écrasées sur le sommet de la tête qui
délimite le pourtour de ma face.
Faces
de chiens, face d’ours poilus, je remonte mon T-shirt sur la toison
gris-cendrée qui dépasse comme des pattes d’araignée qui se planque. Face à
l’air libre, face à balafre, face qui cogne et effraie, face-à-face outrageux,
« baisse le regard je te dis ». Face sombre, fermée au dialogue, face
errante, bétonnée par le bitume dure et suintant de la rue.
Crever
la foule avec ma face d’acarien, qui n’attend rien, au radar des feux de
poubelles, des voitures poubelles, des vitrines éclatées, des tessons ciselés.
La plante de mes pieds est à vif, à force d’errance urbaine, de traîne savate,
de course de survie, victime du mal des rues, de la casse, de la chourave, de
la gruge. Face à perte. Empreinte du terrain. Je remets mes mains dans mes
poches, dos voûté sous le poids des immeubles qui vont m’avaler. Un projectile
m’atteint à la tête. Un pan de balcon vient de se décrocher et de s’écraser sur
mon crâne d’œuf. Un filet de sang sillonne sur mes tempes. Des regards fuyards
autour de moi qui ne cessent de se succéder. J’ai mal à crever sur place, ma
tête se vide comme un robinet. Je vacille, je m’agrippe aux murs, je m’adosse, m’accroupit,
les mains en bénitier pour recueillir le sang du Christ. La lune rousse. Du
moins son reflet dans ma flaque de sang. Un haut-le-cœur, un élan assaillant,
geindre comme un moribond, un filet de son sort de ma bouche, un cri tapi qui
veut éclater. Je le tire dans un son long, je le module, lui donne du rythme et
je m’improvise chanteur des rues à ma dernière heure.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire