samedi 25 mai 2019

La Rose


Je vois une rose rouge pourprée rabougrie. Ses pétales sont flétris et leur couleur a sûrement connu des jours meilleurs. L’intensité s’est perdue mais la rouge teinte n’a pas encore disparu.
Sa tige est dépourvue d’épines.
La rose, larmoyante, n’attaque plus, ne pique plus.
Trois fines branches, au bas de la tige, se détachent du tronc qui les a vues naître.
Moins endormies que les pétales à l’agonie, elles demeurent pourtant endolories.
Les feuilles ont des tâches.
Au sein de l’une d’entre elles s’est formé un nuage filandreux.

Une majesté passée.
Cette rose fut belle, entourée et riante.
Cette rose est frêle, empêtrée et criante.
Une reine devenue peine.
Le temps passe et frappe.
L’éclair foudroyant du sablier qui lentement s’écoule l’a menée à sa propre solitude.
Condamnant Narcisse au trépas de sa grandeur, les aiguilles assassines l’ont conduit vers les abysses de sa laideur.
Une femme dont la courbe fut ondulée et la démarche indolente.
Le miroir lui renvoyait une silhouette parfaite sans faille ni défaut.
Elle se disait irrésistible aux gens et au temps.
L’épée de Damoclès est tombée.
Le gong a sonné.
Les compliments révolus, le corps de la femme s’est tu.

De faibles épines sont apparues.
On dirait les poils naissants de la barbe d’un pré pubère.
Le cœur des pétales endormis en laisse percevoir la naissance jaunie.
Quatre très courtes ramifications végétales ont éclos sur le tronçon de tige qui sépare les trois fines et longilignes branches de la partie à risques où se sont implantées les esquisses de pic.
L’autre côté est aplati.
La fleur trop longtemps du même côté est restée assoupie.
Il y a des tâches noires aussi sur les pétales.
Dispersées, elles cohabitent avec de la moisissure marronnée.
La rose a été arrachée.
Son pied a été disloquée, saccagée.

A la fois enfermée dans le regard de l’autre, je suis libre de lui montrer pas à pas la diversité de ma personnalité.
Les passerelles et le temps diluent les gens.
Des échanges et des reprises rendent impossibles le cantonnement au seul premier jugement.
Je ne m’imaginais pas tomber amoureuse de cet homme qui m’était au départ si banal et normal.
On apprend à connaître, par soi-même et par l’intermédiaire de la mémoire des autres.
Je me sens revenir à des considérations réflexives et ne parviens à faire l’effort d’entrer à nouveau dans l’univers pur et poétique des mots désintéressés.
Ma vie me revient, mes légers soucis et tracas du quotidien.

Je n’ai pas respecté la précédente étape.
Je n’ai pas transformé ma rose.
Rose elle est restée, de laide devenue belle.
Sa beauté ne s’est pas évaporée, non point inchangée, seulement modifiée.
Différent il est possible de l’être, dans le temps, dans l’espace, avec les gens.
Apparence et intériorité se confondent dans un discours qui rappelle que cette dissociation ne fait sens.
Je suis ce que je dégage et ce que je renvoie participe à la formation incessante et ô combien infinie de mon être.
Je ne sais plus quel terme employer dans ce fouillis de mots qui mêlent maladroitement intériorité, fatalité, psyché et esthétique.
Mon esprit se perd dans un dédale capharnaümique de considérations éperdues.
On aime plaire. Est-ce un mal ?
Passer du temps à se coiffer, est-ce superficiel ?
On consacre du temps à se préparer, sacrifie-t-on son corps sur l’autel de l’artificialité ?
Je m’épile, suis-je antiféministe ?
Je m’adapte aux situations et parfois ris par politesse, suis-je hypocrite ?
Jusqu’où s’entremêlent aspect et pensées ?
Jusqu’où puis-je maîtriser mon image avant d’en être complétement dépossédée ?
Le regard de l’autre me tient-il avec la même fermeté que la main du cocher son harnais ?

Pourtant le regard de l’autre peut être bénéfique, salvateur et prolifique.
Il peut mener vers des sentiers inconnus et nous faire découvrir des images restées tues.

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