René vient de franchir la porte du bar des sports, et, excédé par le bruit ambiant, s'écrie :
Oh Dédé !
Tu tchatches trop fort !
Qué boucan c’ui là !
Lâche-nous avec tes dés maudits va.
Tu joues tu cries tu secoues tes bras mous, on
dirait un fada.
T’attends quoi ? Gagner le gros lot pour te
la couler douce sur une ile ?
Mais c’est pas ça la clé du bonheur !
A part :
La voie de la félicité, je vous le dis chers
lecteurs, elle est dans la boite à clous. Indubitablement, ce qui me fait
prendre mon pied, c’est ma caboche.
Quand on a grandi avec peu, sans livres ni
jouets, il faut faire preuve d’inventivité pour ne pas mourir d’ennui. Mais si
vous avez assez d’imagination, pas besoin de théâtre pour aller au spectacle.
Votre petite tête se charge de métamorphoser la réalité, de planter le décor,
de dérouler l’intrigue. Comme dans le Petit Prince, vous savez. Un simple
parallélépipède se transforme en boite contenant un mouton.
La fabulation c'est la libération. Et pas besoin
d'avoir l'imaginaire d'Asimov pour embarquer dans la fusée de la fantaisie.
Comme dans Mary Poppins, vous vous souvenez ? Sauter à pieds joints dans un
tableau, c'est bête comme chou comme idée, mais qu'est-ce que ça ouvre comme
possibilités !Intermineralisinventiquestranarchophagipoesidanimzlierofragilus,
c'est pas ça qu'ils disent dans le film ? Ha ça, s’ils le mettaient dans le
dictionnaire, ça serait bien le mot le plus long. Encore plus long
qu'anticonstitutionnellement. Quel mot rébarbatif. Franchement, la langue
française en connait des plus poétiques. Aurore éclatante de promesses fugaces
électrise l'atmosphère inerte d'une nuit fantasmagorique. Bon, syntaxiquement
c'est un peu lourd certes, mais quels mots ! Ça roule, ça caresse, ça
chante....
Je crois bien que c'est ça qui m'effraie le plus,
perdre mes mots un jour. Alors combativement je m'applique, chaque jour, à en
utiliser le plus possible pour pas qu'ils m'échappent, pour les garder près de
moi le plus longtemps possible. Je les chéris, je les chantes, je les écris..
Dans l'ambiance enfumée du bar, les joueurs invétérés misent, jettent les dés, cochent les grilles, grattent les tickets. René embrasse la salle du regard avec tendresse, et s'arrête sur le visage de Bertrand, le patron et ami de longue date. Il discute avec un jeune homme souriant accoudé au comptoir. Ce dernier remarque René et l'apostrophe : "Oh le poète, comment il va ?". René reste interdit, et fini par bredouiller un petit "Ça va, ça va". Le jeune homme quitte le bar en adressant un signe de la main aux clients.
René s'approche du comptoir et s'adresse à
Bertrand :
- Dedieu, je savais pas que j'avais une telle
réputation...
- Bah mon vieux, tu le connais, c'est Flo, le
petit fils de Michel, qui est de passage à Marseille. Il était là la semaine
dernière.
Le regard de Bertrand s'assombri. Il prend la
main de René.
- Ca s'arrange pas hein ?
Atterré, René se tourne vers l'aquarium qui trône
au bout du zinc. Il tente de saisir dans le regard du poisson rouge ce qu'on
peut ressentir quand la mémoire nous fait défaut. Mais tout ce qu'il réussit à
voir dans le reflet du bocal, c'est le visage d'un vieux singe à qui on apprend
pas à faire des grimaces.
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