Bien avant l'aube, celle des jours courts, sombres et énigmatiques,
dans une baraque, grande et triste, contigu de la route au charbon, dans un
automne froid, dans la lumière fantasque des lampes à huile, du monde est là,
debout, apprêté pour la pagaille et le désordre heureux, les travailleurs des
mines charbonnent leurs humeurs. Ils discutent l'ordre du jour, celui venu de
la ville qui vrille, porteuse de rumeurs et de malentendus.
Pleins de vaillances, dans leur guenille et leur jeunesse, ça crie et
ça chamaille...
Des bruits imprécis d'une révolution, de changements politiques,
piquent ce monde esclave qui trouve là, de quoi se mettre en route, les
habitudes se renversent, les lassitudes se dominent...
Seules, éclatent les paroles, étincelles libres des pensées
fulgurantes, brutales et neuves, d'être entendues.
La nuit encore longue, s'étire dans l'attente du jour, craint et
désiré, à la fois...
La lueur des lampes n'est pas seule à trembler, ni la seule à éclairer
les cœurs exaltés, fiers d'une colère de groupe.
Ils sont libres, nouveau dans ce sentiment, oisifs, diraient les
contre-maîtres, qui ne sont plus ici.
Yvan a quinze ans et goûte à l'air libre ces journées rouges de cœur,
par un temps bien gris.
Son père perdu au front ne donne pas de nouvelles, sa mère, vaille que
vaille, chemine silencieuse dans les travaux du quotidien, de sa basse
condition.
Lui, file à la campagne, tout heureux d'admirer, fut-ce par un sale
temps, une étendue de terres cultivées. Par monts et par vaux, il déraille dans
ses rêves, histoire de voir un soleil dans sa vie dure : Il s'imagine maître
d'un lopin où il aurait assez pour faire son pain, hors de la mine et des faces
fatiguées. Il marche loin et ferme, sans ressentir la moindre faiblesse.
D'un hameau à l'autre, il vadrouille, n'hésite point à patauger,
dégueulassement, pour atteindre une rivière, à traverser à gué, dans la
froidure mordante de l'eau filante.
Il s'arrête parfois, dans son voyage, regardant d'un naturel
promontoire, une vision : Celle d'une cohorte chaotique, vive de revenants de
guerre, grommelant, dans leur restant d'uniforme, terreux et débridé, tout en
fumant d'abondance. Cela se fait aujourd'hui, ce genre de défilé.
Dans son village, il en a vu, Yvan, des gens en départ, des décidés à
partir vers la ville, pour lui dire les choses, pleins de rages et de grands
pas.
Quoique aussi, d'autres gens, forts de suspicions ne croient qu'en
leur terroir, ceux-là, taiseux avec des yeux goguenards, muraillés de
méfiances, raillent intérieurement ces dérangés.
Ville, étrangère a tout ce qui se vit ici, citadine hautaine sans
aubaines.
Pourtant de la ville, vient une troupe d'artistes, que les temps
nouveaux, pleins d'imprévus démènent, ils filent avec ardeur leur présence
charismatiques avec des mots de Tchekhov et tout un défilé de sentiments
travaillés.
Ce n'est pas qu'ils comprennent tout, mais tout ce surprenant fascine,
la scène, les phrases lancées avec emphases et les phares de la scène, aussi
peu éclairée, soit-elle, alimentent des mirages et des ménages.
Et les paysans et les forçats de leur sort plantés là, regardent avec
des yeux ronds tout une magie circulante.
Yvan particulièrement, en pince pour une comédienne pâle, comme un
flocon d'avoine, avec une voix de rossignol et des yeux de diamants. Peut-être
qu'il exagère, où la fatigue, le soir, le changement modifient les perceptions.
Le spectacle fini, la troupe se mêle au peuple, histoire d'être
communiste communionnant. Issus d'une tranche cultivée et riche, ces gens de
théâtre ont une foi au parti, telle qu'ils sourient à tout le monde avec une
bonté au cœur et une folie en tête. Ils pourraient, faire fondre la glace de la
Volga.
Le cœur d'Ivan, lui dans sa jeunesse dure, fond également, attentif,
il a vu, qu'autant que ces gens ont des savoir-faire, des manières et du
livresque, n'empêche que Tatiana, l'actrice belle comme un rêve, a de la
poussière dans son ménage avec Ysobrov, étonnant comme ces deux-là, roucoulent
devant le rideau ouvert avec des serments fiévreux, y'a pas longtemps et que
là, dans la ripaille, ça gronde, ronchonne et grimace sans grâce .Cet
étonnement ne dure qu'un temps, dans le brouhaha du banquet, profitant
qu'Ysobrov soliloque sur l'avenir culturel, alors que la vodka, bien que non
rouge révolutionne l' esprit et les mœurs, Yvan en braise, glisse un billet
doux à sa muse, et comme il ne sait pas écrire, il a d'un bout de charbon,
dessiné un grand cœur avec un trait au milieu, symbolisant une flèche et
l'embrasement de son cœur...