D'où vient cette pipelette en bikini qui marivaude dans le jacuzzi avec un gringalet en Bermuda ?
Certainement de la ferme des stars perdues du village
d’à côté me répondit Franck, le responsable cocktail de la piscine du
camping 3 étoiles où je travaillais en tant qu'animatrice aquagym.
Le duo du jacuzzi entrepris de pousser la
chansonnette sous l'eau, ce qui donnait un son couvert de bulles, et assez
inaudible. Je les trouvais soudain ridicules et me mis à réfléchir à ce
qu'était ma vie, mon été dans ce camping miteux du fin fond du Tarn, à donner
des cours d'aquagym à des vacanciers en quête de raffermissement saisonnier. Je
rêvais à autre chose, moi j'avais comme projet d'entrainer une équipe de
natation synchronisée... Hé ho tu rêves ? Me dit Franck. Non, il m'a simplement
semblé voir mon âme s'envoler au-dessus des paradigmes saisonniers…
J’avais tellement l’impression de
gâcher mon temps, ici et ailleurs d’ailleurs, tout en me disant qu’à 20 ans, on
a toute la vie devant soi. Mon rêve n’a jamais été avoué mais il ne se passait
pas une journée sans y penser, depuis le jour où mes parents, à l’âge de 12 ans
m’ont emmenée voir un évènement surnaturel : un spectacle de sirènes. Parce
que c’est vraiment cette image qui me reste plantée dans les yeux, des êtres
féériques qui glissaient sur l’eau et sous l’eau sans besoin d’oxygène, dans
une grâce hypnotique. Elles étaient une, puis 10 puis 20 en un coup de brasses,
à se déployer sur l’eau telles des tentacules se dispersant dans le bassin pour
se rassembler en des figures improbables, oubliant leur individualité. Elles
étaient comme ces oiseaux dans le ciel, libres de ne faire qu’un, synchronisées
par une magie indéfinissable, inexistante dans leur singularité, toutes
identiques par les faits et gestes. Elles étaient comme ces poissons dans leur
monde, se déplaçant par banc, bercer par des vagues imaginaires, scintillants
sous le jeu des lumières de dehors. Elles étaient belles, sans visage, faites
d’ondulations en guise de membres. Capables d’immobilité et de téléportation,
mon regard absorbé de toute part sur la surface et les profondeurs. Je savais
pourquoi mes parents m’avaient invitée à voir ce spectacle étrange pour lequel
je n’avais aucun attrait au préalable. Je détestais l’eau, je détestais nager
et l’idée de me mettre en maillot de bain était pire qu’une phobie. Les
différents enseignants avaient essayé toutes les pédagogies pour que mon petit
corps frêle et disgracieux accepte de flotter, pour que mes racines accrochées
comme des ventouses aux petits carreaux blancs et bleus libèrent leur étreinte.
Je me serais noyée sous un mètre d’eau à la seule idée de ne plus avoir pied.
Alors animatrice d’aquagym, c’est pour qu’on arrête de me parler de cette
répulsion irraisonnée, c’est ma revanche à cette masse visqueuse que je regarde
de haut. De mon estrade bien au sec, dans mon legging avantageux, je suis dans
la parfaite monstration des gestes et postures à adopter pour raffermir mon
troupeau de cochons des mers qui flottent tant bien que mal en mouvements
disgracieux et gluants, un autre genre de tentacules. De aquaphobe à aquagym,
je changeais de registre. J’offrais une certaine satisfaction à la perception
que l’on pouvait avoir de moi en effaçant l’ardoise d’une certaine culpabilité
indomptable, mais au fond de mon abîme, je savais qu’un poulpe continuait à
m’enserrer le cœur, retenant le jus du vrai plaisir d’une jubilation maîtrisée.
Et ce n’est pas au fin fond du Tarn que …
Hé ho, Ariel, c’est le dernier
jour aujourd’hui ! Avant de repartir à la fac, sur les bancs des amphis
pompeux, que dirais-tu d’une animation pour débrider nos cachalots du
jacuzzi ? me dit Franck. J’ai toute une panoplie de déguisements à thème,
on monte dans le yacht et on se fait la photo du siècle avec toute une bande de
poissons euphoriques. Tout ton groupe est partant, regarde-les enfiler leurs
nageoires, c’est hilarant ! Moi j’ai choisi la pieuvre géante pour mieux
enlacer mon Ariel, princesse des sirènes ! voilà le tien…
Et là … Je m’y vois, les yeux
grands ouverts, glissante sur l’eau avec ma queue d’écailles bleutées, mon rêve
à mes pieds cousus main, posé sur un plateau doré ou argenté peu m’importe…
Ma petite sirène aurait pu s'appeler Orane, ca sonnait bien aussi ;-)
RépondreSupprimerIsabelle