mardi 1 décembre 2020

Raconte, encore une fois

Ce jour-là, je ne me suis pas reconnu, rouge de honte, vert de dégout, noir de colère, ça m'a donné des ailes, décuplé mes forces, mis à terre. J'aurais voulu avoir ce dont je rêve depuis ma plus tendre enfance, : un regard assassin : un clin d'œil et hop l'autre tombe. Enfant, je rêvais jour et nuit. Nous adorions avec mon frère et ma sœur nous installer dans le lit de notre mère lorsqu'elle était absente. Là , était ma scène chérie, je me transformais en conteuse , et eux en public inconditionnel. Leurs rires, et les « raconte encore une fois » me portaient. C'était des histoires, très souvent les mêmes, qui faisaient peur jusqu'à l'instant ou le ridicule nous faisaient exploser de joie. Je puisais dans mes sueurs nocturnes, l’océan qui voulait me noyer, les 3 petits cochons qui n'aimaient pas les suppositoires, la sorcière qui volait les chaussettes et les culottes, le dragon au regard de feu (celui à l'origine du regard assassin). Le temps d'une histoire j'étais la star, le clown, celui qui n'a peur d'aucune transgression.

En grandissant les règles du jeu ont changées, le ciel est devenu gris, les fleurs pales, les soleils cachés. J'en ai juste gardé le plaisir des histoires et maintenant j'adore que l'on m'en raconte, je suis devenu un super spectateur.

Mais là d'un seul coup, l'enfant qui n'avait peur de rien, capable de jouer le rôle de tous les pouvoirs a trouvé son public et vient à mon secours. Le monstrueux roquet à deux pattes et au poil court est là, celui qui écrase l'autre, invective, dont les mots fleuves trahissent « un moi je » permanant, bavard, envahissant. Il est là derrière moi, je le sens s'agiter, pousser pour passer devant, son odeur bobo-chic/Jus qui put me le font détester d'emblée.

Désarmé ! Pas d'œil fusillard dans le dos ! alors je fais un volte-face pour lui barrer le chemin. Ma fureur est si intense que, sans y réfléchir je fais ce clin d'œil rapide, sec, glaçant. Or, que se passe-t-il ? Cette vermine, ce sale type dont le comportement m'avait fait sortir de mes gonds, se fige comme électrisé.  Un des jeunes petits garçons qu'il avait bousculé pour pouvoir s'avancer dans la file d'attente, venait de l'arrêter en plein vol en écrasant avec jubilation une délicieuse, douce, gourmande, fondante, glace pistache fraise sur son rigide veston noir. Un tir fort précis, silencieux mais efficace. Stoppé en plein vol !

Rien à voir avec le regard de feu du dragon de mon enfance, mais le fou rire déclenché par la mine de sir corbeau, me transperça. L'espace d'un instant, l'insouciance et les rires qui autorisent la mise à distance du convenu qui fait accepter sans broncher les hors limites, la peur aussi, faire à nouveau surface.

Le soir venu, j'ai reconvoqué sorcière, dragon et petits cochons en espérant qu'inspiration serait à nouveau insufflée par la marchande de sommeil. 

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