Depuis le temps que l'homme avalait du sous-traité, du surgelé, du chimique, du colorant, du pollué à haute dose, il semblait bien s'être habitué à sa condition d'animal de batterie.
Il avait paru bien déterminé à prendre son destin en
mains pourtant en 2022, notamment, lors de la grande
mutinerie contre le port du pyjama en pilou-pilou rendu obligatoire sous 18
degrés. Ah! Il fallait les voir, défiler en calebut' sur la Cannebière.
Il y avait les Pro pur coton, qui envoyaient des pavés dans les boutiques et
glissaient en chaussettes le long des réverbères. Plus loin dans la procession,
une bande d'antiféministes en nuisettes sexy scandaient à pleins poumons
"Travail, Famille, Patrie !" Je m'en souviens comme si c'était hier.
J'avais pourtant huit ans à peine. Je suis resté très longtemps
traumatisé par cette bouillie cérébrale affichée. A huit ans, dans ce monde
aseptisé et prédigéré, l'âge adulte n'est pas encore atteint, le
conditionnement programmé est encore loin du définitif et j'ai refait pipi au
lit. Les traitements que j'ai dû subir me plongeaient dans des sommeils sans
rêve, qui se terminaient toujours en sursaut.
Bon d'accord
on n'est pas en 2022. Quelques vérités quand même, le cerveau fermé des
adultes, le pipi au lit au-delà de l'âge autorisé, et mes petites siestes
volées dans l'arbre du champ voisin.
Un bruit de porcelaine, et je reviens à
moi, perchée sur mon arbre. A mes souliers vernis, un chat rayé mauve et noir,
seule race homologuée de nos jours dans la région des GAFA Unies.
Je l'observe descendre en colimaçons
nonchalants le long du tronc et s'enfoncer dans les buissons quand soudain, une
horde d'escargots, bataillon de coquilles, avance et commence à grimper le long
du tronc de mon arbre. Je ne crains rien, les escargots sont mes amis. J'évite
souvent des morts par écrasement sauvage. Les tailles 42 sont les plus
dangereuses. Ils avancent tranquilles maison sur le dos.
Adulte aujourd'hui, ils m’aident à ne
jamais oublier que ma maison est en moi et que mon arbre y est aussi. Je suis
un enfant de la terre et je ne supporte plus qu'elle soit oubliée, piétinée.
Elle est plus difficile à protéger que les escargots de mon enfance, elle se
laisse spolier, vampiriser. Elle a bien essayé de réguler avec quelques virus
mutants, comme autant de parasites sur son dos rond, sans succès. La terre est
peuplée d'une humanité dont les cellules cancéreuses, se multiplient de façon
anarchique et phagocytent celles qu'elles ne reconnaissent plus. Faudra-t-il
que la terre devienne notre cancer pour survivre, que nous devenions des
inconnus et que la terre s’en débarrasse car
elle ne les reconnaît plus ?
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