Depuis que l’homme a avalé du sous-traité, du surgelé, du chimique, du colorant, du pollué à haute dose, il semblait bien être habitué à se taire, sûrement à cause de sa langue boursoufflée.
Un soir, alors que Marcel rentrait d’une
journée harassante, il constata que sa langue boursoufflée avait non seulement doublée
de volume mais aussi verdi. Il crut d’abord à la coloration des épinards surgelés
de midi et pensa se laver les dents et la langue. Hélas, cela ne changea rien.
Il aurait aimé en parler, ce soir, à quelqu’un. Cela l’inquiétait terriblement.
Impossible de téléphoner, on ne le comprendrait pas. Il pensa aller sonner chez
les voisins sauf qu’il se sentait vraiment gêné de cette situation. Il était
moche à faire peur. Si seulement Pierre ne l’avait pas quitté, il aurait pu
évacuer son anxiété, son stress en tirant la langue. Il rit en pensant à
tirer la langue parce qu’il se souvenait du jeu auquel il jouait avec son ami
d’enfance, Martin. Si l’un des deux se faisait punir au coin, alors, l’autre devait
lui tirer la langue depuis sa place, sans être vu du professeur. Le puni devait
évidemment y répondre et compter le nombre de tirage de langue que le
professeur ne parviendrait pas à voir. Cela se terminait inlassablement de la
même manière : l’acolyte était puni à son tour.
Il fouilla longuement la pharmacie tout en
se disant qu’il ne pourrait rien avaler de toute façon. Il paraît que la nuit
porte conseil alors il s‘allongea. L’anxiété était si forte qu’il ne parvint
pas à s’endormir. Pour s’apaiser, il cherchait à répéter un mantra :
l’espoir me dit que tout peut être transformé. L’espoir me dit que tout peut
être transformé. L’espoir me dit que tout peut être transformé. L’espoir me dit
que…
À son réveil, Marcel s’habilla, ouvrit la
porte de son appartement et la langue boursouflée et verdit, tout en dehors,
sonna chez le voisin… et suspendit son geste. Son regard venait de balayer
le parterre de fleurs à ses pieds, puis le jardin et plus loin, le parc où les
enfants ne jouaient plus. Ce qui l’étonna ne fut pas le calme qui y régnait, ce
ne fut pas le silence et son emprise mais les couleurs que ces yeux
percevaient. Difficilement descriptible, la moindre goutte qui transpirait de
chaque feuille ou pétale scintillait à l’éblouir. Il reconnut la douleur de la
soif comme une dipsomanie mais dans un régime vital, incommensurable et
soudaine qui ne se contentait pas de lui assécher la bouche où sa langue
semblait vouloir se faire oublier mais où tous ces pores réclamaient
l’hydratation. A ce moment-là précisément, il se retrouva face à sa voisine qui
lui ouvrit la porte. Ses cheveux teints en vert ressemblaient à ces hautes
herbes négligées de sa cour mais à ne point s’y méprendre, sentait bon le
printemps. Il l’aurait embrassée s’il ne s’était pas retenu, les mains dans les
poches pour piéger ses mains avides de l’enlacer. Une rumeur poétique planait
avec ce goût de pollen sur la langue. Il bégaya dans une tentative d’élocution
tandis qu’il postillonna un nuage de pistils de toutes les couleurs qui
frisèrent instantanément la chevelure d’étamines arborescentes de son accolée.
Ces semences se dispersèrent comme une poussière d’étoiles baptisant la
génitrice incarnée qui recueillait l’offrande, les yeux rayonnant de joie. Sa
robe se détachait comme une écorce desséchée dévoilant un velours digne des
pétales de roses. Et quel parfum ! Ses jambes semblèrent s’allonger
langoureuses et épineuses. Marcel, dégoulinant et ému, transpirait de toute sa
sève blanchâtre et suave tentant de garder la dignité d’un Homme qu’il n’était
cependant plus. Prêt à communier avec la nature qu’elle représentait.
Bonjour Maeva, l'introduction m'a donné du fil à retorde. Marcel la langue verte vient sonner à la porte de son voisin... quelle suite donner. Et bien je me suis lachée et je me suis bien amusée, merci!
RépondreSupprimerIsabelle