La bouche ravalée de la vieille femme semble aspirer tout son visage
marbré de rides, un labyrinthe s’est formé sur sa peau et mène tout droit à
l’antre buccal, édenté, absence de gencive, de langue, un trou noir qui attire
le visage dans son néant. Elle ravale sa peur, son inquiétude, ses muqueuses se
sont rétractées dans son cou et finissent stockées dans la gorge formant un
cloître où baignent ses cordes vocales, sa glotte, ses non-dits, ses errances,
le lourd secret qu’elle porte. Et pourtant il reste de la place, son regard
brille et capte, intense, la jeunesse de sa maîtresse. Une peau lisse, des
pommettes rebondies, un nez franc, des yeux sombres qui s’assurent une destinée
assumée, un regard en coin à l’affût de l’inabordable, intriguée, mais sereine,
malgré les ivrognes qui occupent à présent la pièce, certains sont affalés dans
une posture indécente, les cuisses ouvertes, l’autre saisissant son entrejambe,
un autre la face appuyée sur un tas de cartes pégueuses, la salive coulant sur
la Dame de cœur. D’aucun se lève et titube vers les deux femmes comme en proie
à un mirage et se désarticule, tombant au sol dans un fracas, qui ranime le
géant. Immense tenancier du bar, pourtant parti si loin dans son sommeil. Quand
il ouvre ses yeux mesquins sous une broussaille sourcilleuse, ses yeux perçants
fixent les femmes comme un loup. Il ne voit pas le reflet de la lame que tient
la jeune femme, qui s’est retrouvée là, justement pour lui, Goliath, orné d’une
couronne de cheveux crépus gras, qui grouillent de vermine. Il sourit le
monstre, sa bouche s’ouvre sur une dentition noire, ce qui fait réagir la
vieille femme. Elle s’amuse de ce spectacle hideux qui lui renvoie son propre
écho. Le coup est parti net, brisant l’air d’onde lumineuse, le sang jaillit de
la fente béante, un poing corpulent s’élance dans l’air comme sonnant le glas
de son propre trépas. La jeune femme, le visage moucheté de sang, quitté la
pièce imperturbable, la vieille femme ricanant dans son dos.
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