vendredi 24 décembre 2021

Fragmentée

Remplie. Une membrane invisible qui comble les espaces vides. La gorge, l’estomac, la nuque, l’oreille, le dos, entre les omoplates, entre les cotes, dans la cage thoracique, toutes mes artères, tous mes boyaux. Le plein, le complet, le tout. Ancrée, vissée dans la terre. Je ris.

Fragment

J’ai choisi le silence, il s’est imposé à moi. Une retraite en pleine nature. Un nuage ouaté surmonté d’un ange doré. Il a saupoudré l’espace autour de l’abbaye. J’étais dessous. Chut ! Pas un mot ne sort. Juste une enveloppe qui se pose sur moi, qui remplit mon corps, et me tient au chaud. Je suis bien. Je choisis le silence. J’ai fait le vœu absolu.

Fragment 1

Remplie. Une membrane invisible qui comble les espaces vides. La gorge, l’estomac, la nuque, l’oreille, le dos, entre les omoplates, entre les cotes, dans la cage thoracique, toutes mes artères, tous mes boyaux. Le plein, le complet, le tout. Ancrée, vissée dans la terre. Je ris.

Fragment 3

Un homme qui dort par terre. On se regarde. Je lui tends un billet et le lien se fait. Ici le cœur jaillit de lumière, un rayon de lumière se connecte à l'autre. Il ne fait qu'un. L'inconnu et moi-même. Plus rien ne compte que l'osmose immédiate. Le bonheur réciproque, la Bonté qui sourde en nous. 

Fragment 2

Je joue, je chante, je sens la bascule dans l'autre monde. Le monde de ma bulle, où le temps n'a pas de prise, où les gens autour ne sont que des ectoplasmes vaporeux et insaisissable. C'est moi et moi. Même si l'instant ne dure qu'un millième de seconde, je suis rentrée dans l'autre monde et je veux y retourner. Je fais glisser mes doigts sur le clavier, je l'effleure et je joue. 

Fragment 4

 J'ai senti la grâce. Grâce à toi. Ô mon Dieu, je n'ai plus peur. Je vibre devant la beauté du monde, l'éclat de la nature. Le reflet du soleil sur la verdure. Un trèfle. Le pétale délicat et tendre m'émeut. J'ai l'impression de le voir respirer. J'accède à un espace-temps de plénitude et d'allégresse, car c'est la joie et la foi qui m'animent.

 

Chaque morceau de peau frémit

Maintenant, il est temps. Ce soir j'ai choisi. Moi aussi j'ai droit à mon plaisir. Allez ! Laisse-toi guider par tes sensations à travers la brume de ton corps endormi. Laisse-toi aller comme si un vent lointain te soufflait des promesses de plaisir exaucé. Laisse-toi enivrer. Laisse aller. Ressens ces douceurs qui t'animent, qui grandissent, qui s’étendent à tout ton corps, des pieds jusqu’à la nuque, vois comme chaque morceau de peau frémit. L’amour en solitaire.

Seras-tu là ?

Seras-tu là ?

Le ciel est rouge. Je l’aperçois au loin. Le vent souffle, je frissonne. Je tourne la tête et je vois des ânes, ils réchauffent mon cœur.

Oui mais, seras-tu là ?

Le ciel est rouge, je l’aperçois au loin…

Réponds-moi, auras-tu le courage d’être là ?

Le vent souffle, je frissonne. Je tourne la tête et…

Tu as peur, n’est-ce pas ?

Je vois des ânes, ils réchauffent mon cœur.

C’est trop facile de s’évader ;

Le ciel est rouge, je l’aperçois loin, le vent souffre

Le vent souffre ?

Le vent souffle, je frissonne

Quelle lâcheté, avoue que tu as mal !

Je détourne la tête et je vois des âmes.

Ça y est, tu commences à y voir clair.

Ils me réchauffent le cœur et je n'ai plus peur. Le ciel est rouge

Ainsi soit-il

Si des âmes réchauffent ton cœur, tu seras là !


Ô clair de Lune

Tout ce qui n’est pas cette Lune, ce garçon, cette rivière, ce pont, n’existe plus.

On dirait que les astres ont manigancé un alignement pour créer ce moment qui n’en finit plus d’être là. Monde insaisissable qui ouvre ses portes sur des moments inattendus. Ici le cœur jaillit de lumière. Une lumière vibrante qui m’enveloppe, qui m’enveloppe avec lui. Ô clair de Lune, clapotis de l’eau noire, plus rien ne compte que l’osmose immédiate, vibrante. Le bonheur réciproque, l’amour qui sourde de nous. Je le savoure avec reconnaissance, conscient qu’il n’y aura pas deux comme lui. Tout ce qui n’est pas cette lune, ce garçon, ce pont, cette rivière n’existe plus, quand je suis loin de lui.

 

Je descends dans la crypte

18 Décembre, Solstice d’hiver. Dans l’abbaye, à travers le vitrail central, un afflux de lumière l’inonde. Le soleil vient et chauffe. La nuit est immense et sombre. Je me rappelle qu’il y a 20 ans, nous nous étions rencontrés ici. Un véritable coup de foudre amoureux. Nous aimions tous les deux les chants de Noël dans les églises. Je pense à toi aujourd’hui, tu es parti, il y a presque deux ans. La flamme de la vie est revenue aujourd’hui. Je suis sortie du long tunnel froid et sombre. Je me promène dans les allées, je descends dans la crypte peu éclairée. Je n’ai plus peur.

Fragment 1

 Je cours dans le jardin, il fait beau, l’air sent bon, je joue avec Guy et je m’arrête en pleine course. Je décide de toujours me rappeler de cet instant, les narines ouvertes et les yeux agrandis face au soleil, j’ancre ce moment en moi-même.

 

Fragment 2

Moments d’enfance d’avant toute la complexité du monde. C’était un concentré de jolies choses, accoudée à la fenêtre, j’étais émerveillée. Le chemin du village s’élançait vers la montagne sous la lueur douce d’un lampadaire. La neige épaisse reflétait les rayons de lune, c’était aussi magique que magnifique, un moment parfait, poétique et plein. J’ai eu envie de pleurer.

 

un énorme vadérétroce

Un soir, alors que le mistral sifflait à travers les persiennes, l’une d’elles s’arracha et me fit sursauter de peur. Je couru à la fenêtre et vis un énorme vadérétroce qui s’était posé sur mon balcon. Le ciel noir en était rempli, ils volaient par centaines et vociféraient des cris stridents. Ils approchaient tel un nuage et se dirigeaient droit sur mon balcon. Mon cœur battait à mille à l’heure et je courus me mettre à l’abri sous ma moutoune, si douce et enveloppante. J’appelais en hurlant, mon Chachauve que j’avais recueilli dernièrement, il était d’origine égyptienne et se les pellait tout le temps, comme moi. Ma corneminette, elle, s’était déjà planquée dans le sac à linge. J’entendais les volatiles qui grinçait et donnait des coups de bec sur les carreaux. C’était certain j’allais finir comme un pigeon déplumé, becqueté, écharpé. Soudain les cris affamés et ricaneur se firent plus présents, plus forts. Je pris mon trafufle et écrivis un message d’adieu à ma mère, la fin était proche. Chachauve se faufila entre les draps et compta jusqu’à trois : un, deux, trois, pouf ! Quelques fois, je dois bien l’avouer, j’adore siroter plus que de raison.

C'est l'hiver

 C’est l’hiver et je sens que je ne peux plus mettre le nez dehors, ou alors seulement si j’enfile mon fassochaud et mes moufles. Et jamais la tête mouillée, malheur ! Passage au chaufficide obligatoire. C’est la période de l’année la plus éprouvante pour moi, mon corps est à rude épreuve et c’est d’ailleurs pour cela que je suis venue vivre à Marseille. J’ai mes secrets pour me réchauffer, ceci dit. Une bonne soupe maison, en deux temps trois mouvements les carottes sont passées au peleur, cuites au bouillon et sont avalées dans l’heure.

Au plein cœur de l’hiver, je sors ma dévineuse et me sers un petit verre. Ça coule dans la gorge, c’est doux. J’affectionne aussi le thé, aromatisé. Mon allié, le cipressoir, me permet d’ajouter le jus dans l’eau frémissante. Une fois le repas dégusté, j’utilise un énappeur et hop, tout part au poubelleur, pelures et miettes, citron et feuilles de thé ! Et lorsqu’il me reste quelques pièces dans mon griposous je m’offre une petite douceur, un réconfort, une douce chaleur.

Inconfort

Je lui avais dit que je détestais le froid. Il m’avait répondu tu verras tu aimeras l’or blanc. Evidemment lui, skiait comme un Dieu, pendant que moi, je grelottais dans ma combinaison mouillée. J’avais essayé de prendre le tire-fesses mais je n’avais pas lâcher la perche à temps et j’avais chuté dans la poudreuse. Ma posture était grotesque. Il avait eu la bonté de ne pas rire, contrairement aux skieurs, qui faisaient la queue derrière moi. La luge n’avait pas plus réussi.  Morte de peur, j’avais fini ma cause cul par-dessus tête. Et toujours ce froid humide, collant. Même le vin chaud n’arrivait pas à me réchauffer. J’essayais de continuer à sourire par ne pas lui gâcher son plaisir. Les enfants faisaient un bonhomme. Tout le monde autour de moi avait l’air de s’amuser et d’être heureux. Je pensais que j’aurais pu être au soleil des tropiques sur une plage de sable blanc, dans une eau à 30°. Au lieu de ça, je claquais des dents en fermant les yeux pour échapper à une luminosité trop forte. Le serveur m’apporta un énième vin chaud, je commençais à être un peu ivre, enfin. Peut-être pourrais-je supporter un peu mieux grâce au vin poivré et épicé cette situation pénible. Dire qu’il y avait des gens qui habitaient ici. Je les plaignais de tout mon cœur pour leur drôle de vie.

L'or blanc

Je touche l'or blanc sans ressentir le froid. Je roule une boule sans douleur dans les doigts. Feutrés mes pas se font entendre dans l'immensité du silence enveloppant. Blanc blanc blanc. Seul au milieu du champ, je suis couleur. La blancheur éclatante étonne, scintille et impose le respect.

Cette neige est salvatrice, elle apaise l'agitation. Tout ce monde excité se met au chaud. Les bienveillants eux sortent la remercier. Souple, soyeux, enveloppante. Manteau de nature.

Boudha

Derrière les barreaux, c'est bien le dernier endroit où l'on doit m'imaginer et pourtant cela m'importe peu. Il n'y a pas un seul endroit où il est impossible de méditer. Que des barreaux me séparent du monde extérieur ou pas, quelle différence ? Le monde est en moi et je fais partie du monde à tout moment à tout endroit. Quand les occidentaux comprendront-ils enfin que le corps et la matière ne sont pas seuls sur terre ? Qu'emprisonner le corps n'est pas emprisonner l'esprit ? Et que tuer le corps ne veut pas dire tuer l'esprit. Je sais que mon jour viendra mais ce jour-là je n'aurai pas peur. Je sais aussi que mes cendres seront dispersées sous l'arbre où je méditais et cela suffit à me combler.

L'expulsecrasse

Quand il sortit le libèrgoulot, il se délesta de son allègenez. Il avait rempli tous les débarassetables. « Non, ne les met pas dans l’expulsecrasse », criait Margot, cachée dans son bourrasquechop.


Un mot pour un autre

Trieur des fils, tu défile

Les déshabilleurs de jaunes

Met tes rougetifs en jachère

Et expulse le gras qui encombre

Dégage poids et nous allège

Quand sous tes enjambesmonts

Tu fais autour des tablenettes

Et rougetif expulse les gras.

Jean l'ébouriffeur

Jean l’ébouriffeur part en campagne. Sa besace est remplie de citonettes. Il rit sous cape. Il sait qu’avec ses armes de destruction massive, il va bientôt pulvériser la douce campagne bucolique. Déjà, sous l’effet du soleil couchant, il commence à se transformer. Les autochtones hurlent lorsqu’ils le voient devenir un ordurexcite ricanant. Tous les jaichauds se transforment aussitôt en jaifroids. Ils tremblent de frayeur. Mais un gardesous à bec plat sort de son coffre. Que va-t-il arriver ? Que va-t-il sortir de cette confrontation ?

Besoin d'acheter de la poésie

J'ai cru que j'étais perdue dans le stade de foot. Puis, j'ai soudainement réalisé que j'avais éteint mon cerveau. Je me remplissais alors de tendresse et de beauté. Ça tombe bien, il se trouve que j'avais justement besoin d'acheter de la poésie. C'est un peu ras des pâquerettes mais non dénué d'humour sans en prendre conscience.

Où est passé le farfelu ?

Je regrette éperdument ces moments d'innocence. Libres et insouciants, nous nous régalions à passer des heures à regarder les nuages pour y déceler des figures familières. Sans le savoir vraiment, nous étions ivres de légèreté. Fauves indomptés, âmes ardentes, le temps n'avait pas de limite pour nous. L'infini nous ouvrait ses bras et nous nous y jetions à corps perdus. Il me semble que nous brûlions d'un feu intérieur qui s'est éteint. J'ai envie de crier "Où est passé le farfelu ?" Je pensais être fière de me connaître, aujourd'hui je suis triste de ne plus me surprendre.

Les enfants ont grandi

Les enfants ont grandi, il y a sans doute plus d'humains morts que de vivants sur la Terre. On pourrait dans un rêve éveillé voir la végétation préhistorique infiniment plus luxuriante et colorée que celle d'aujourd'hui; ou alors songer à la noblesse perdue des chevaliers.

C'est peut-être la paresse qui nous pousse à noircir le présent, la flemme de le changer. Ou alors c'est le sentiment de la perte de son pouvoir d'agir, inéluctable pour l'handicapé ou la personne dépendante, on peut ressentir le vertige d'avoir vécu la meilleure partie de sa vie. On observe, depuis la crise sanitaire de façon accrue, la voracité de ce sentiment d'impuissance et de nostalgie chez des jeunes gens. Ils sont déjà assez vieux pour regretter le temps de la cour de récréation, des gâteaux, des vacances, des copains. Ils pensent peut-être que les enfants sont insouciants et qu'ils n'ont même pas besoin de s'inventer quelconque espoir, heureux et béats. Mais l'insouciance n'a jamais existé. Au CP on regrette le temps où l'on prenait le sein. On peut écrire sur ces sentiments, c'est une bonne façon de ne pas leurs laisser toute la place.

jeudi 10 juin 2021

Il est venu, il est parti

Il est venu, il est parti, avec des pas de danses et des idées arrêtées, une majesté de mouvements, et une fois le spectacle fini, une fuite éperdue. Il aurait voulu s'élever, mais n'était qu'un terrien, qu'un rien abattait, avec une folie d'exister lugubrement obstinée. Une fois la parade accomplie, le temps perdu n'est plus qu'un clou dans le cœur, courir dans tous les sens comme un poulet sans tête, pour que le pouls bat sans trêves, on y laisse bien des plumes et toute la santé.

Eloge de la Constance

Je peindrai ici l’image d’un trait de caractère trop peu souvent interrogé, au même titre que la capacité à être optimiste en toute occasion où à contrario l'utilisation de la rébellion systématique comme carapace.

C’est une caractéristique qui définit la personnalité et la singularité de chacun. Tout être humain l'embrasse à sa manière, parce que toute histoire de vie nous y confronte, que la littérature l'encense autant que s'en méfie là où la psychologie en fait un art qui peut fleurter avec la faiblesse.

C'est une manière d'être au monde qui s'acquiert à force d'éducation, d'encouragement, de compréhension de la réalité, de l'apprentissage de la temporalité, de la confiance en soi, de la capacité à rêver puis se projeter dans un avenir possible. Elle est indispensable à notre développement et nous est vendue à coup de vénération du courage, de la persévérance, d'éloge de la constance. Comment rejeter cette proposition à être, conditionnelle de la réussite, du vivre ensemble, d'une force intérieure indestructible. Elle est utile et nécessaire, comme le balai à la sorcière, les étoiles à la lune, l'horizon à l'océan, le contraste à la lumière, l'attente au désir, la sensualité à l'amour, l'Autre au Je. Son intensité est infinie, mais sa pratique peut passer du chuintement, du presque invisible à l'énormité, à l'incroyable, l'incompréhensible, que chacun perçoit en solitude.

Ce n’est point l'humeur trop spontanée et irréfléchie dont la variabilité cache pourtant si peu le qui on est, Ce n’est point l'attente qui peut enfermer l'action comme se prosterner devant Sainte procrastination. C’est davantage une sorte de lenteur où tous les sens sont en éveil. Temps suspendu où le doute que les étoiles filantes du passé éclairent, s'invite plus ou moins violemment.

La nourriture : c'est essentiel.  La sagesse, l'expérience, la confiance accordée au vivant et à ses semblables, le désir, le sens donnée aux situations et aux relations, la conscience des limites et des possibles sont les ingrédients de base. Si tout est réuni, si les doses sont respectées, cette manière d’être au monde l’aime pour l'ouverture qu'elle lui offre, pour la découverte d'inattendue, de plaisirs insoupçonnés, mais aussi pour ne plus rester dans la salle d'attente sans but, dans la soumission.

Si je vous présente ce modèle, avouez-le, c’est qu’au-delà du piédestal sur lequel notre éducation occidentale l'a mise, la démesure peut la transformer en poison. La force qu'elle contient, de limitante peut devenir faiblesse si elle nous mène à la résignation. C'est une qualité qui se décline au quotidien et permet d'ouvrir toutes les portes de l'introspection autant que des croyances, des capacités à s’engager pour aboutir. La regarder vivre en moi, éveille toujours en premier lieu, de l'exaspération, du risque de renoncement, d'abandon, d'inaction, d'obstruction à la réalisation des rêves.

Je n’omets pas de vous conseiller d'aller y voir, d'enrichir votre capacité à avancer au quotidien, de comprendre comment vous utilisez la patience comme curseur à ETRE. Seule la démesure est son ennemie.

Quand elle rit

C’est une personne toute en fragilité. Peu farouche, il faut la protéger pour la conserver prés de soi sinon elle s’enfuit trop loin pour la rattraper. Frêle et capable de force, elle a bien voulu occuper le nid que j'ai mis en place au printemps. Le bois d'à côté lui sert de réserve à ses pensées les plus secrètes auxquelles personnes n’accède mais sa trajectoire pour revenir est toujours la même. Alors je l’attends patiemment de crainte de l’effrayer par trop d’empressement et par timidité aussi. Chargée de doutes dans les premières semaines, elle nourrit aujourd’hui notre potentiel avenir, enfin j’y songe et j’ai envie d’y croire. Je la vois parfois arriver à toute allure sans prévenir ma trop grande proximité, puis dans cette retenue qui la soutient, elle me sourit, d’un sourire nouveau. Si je l’observe avec trop d’empressement, elle rougit et feint une attitude assurée pour s’atteler à une autre tâche loin de moi. Face à face, dans un reflet lumineux ou plus sombre, nous restons à portée du regard à essayer de mieux nous comprendre. Je sais qu'elle est là parce que ses yeux aujourd’hui soulignés de maquillage, s’expriment à travers un regard qui en dit long. Ce regard dans lequel elle se faufile. Et moi, je m’y plonge, par une grimace pour qu’elle parte, par un sourire pour qu’elle vive, m’accompagnant dans sa transformation, de corps et d’esprit. Elle me révèle cette féminité qui s’accomplit doucement mais surement. Quand elle rit, ce n’est point le chuintement du hérisson qui se faufile sous la haie comme autrefois, quand elle avance, ce n’est point la patiente tranquille de l'araignée qui tisse sa toile lorsque nous écoutions les conte du soir; c’est une femme qui résiste au temps qui passe, une enfant qui ne voulait pas grandir. Cette princesse devenant reine est une danseuse joyeuse, qui tisse aujourd’hui le nid avec précision de ses mains agiles. Infatigable, prudente, frêle et obstinée, elle conquit jour après jour mon corps et mon cœur. Elle consacre les moments de pause à l'entretien de ce que la vie lui offre.  Elle lisse et peigne soigneusement, démêlant ses terreurs nocturnes d’enfants au profit d’un désir naissant, un art millénaire. Sa voix tantôt autoritaire, tantôt caressante lui le donne ce ton particulier emplissant l'espace par petites ondes fines, régulières, distinctes. Elle devient femme, je deviens homme. Comme elle, je laisse l’enfance me quitter pour accueillir celui que je deviens à ses yeux. Cet hiver elle s’est nourrie de glaces et de bonbons, ce printemps, sa nourriture se veut plus masculine à la recherche de moi. Ce petit voisin d’à côté ne se ressemble plus d’ailleurs : elle m’aime surement puisqu'elle a élu domicile sur ma terrasse. Maintenant que ses rondeurs ont fait leur apparition, elle favorise un autre accès et le nourrit plus de regards que de rires en éclat que j’entendais encore hier. Pas encore le savoir-faire, plutôt l’intuition. Il faut que les hormones soient gavées de protéines pour pouvoir s'envoler bientôt et surtout apprennent vite à chasser et se nourrir par eux même. Travailleuse, obstinée, attentionnée ! si je vous présente ce modèle, avouez-le : vous avez envie de hausser les épaules, passer votre chemin, ce n'est qu'un petit oiseau du printemps que j'aurais si peu remarqué si je ne lui avais pas mis un gite à disposition. Moi, si déconnectée de la nature et de ce qui s'y joue, je reste subjuguée par ce manège éphémère mais que je pourrais reconvoquer chaque matin. Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais été sollicitée, invitée à mettre les mains dans la terre, à observer et comprendre le monde, la chaleur. Alors je me laisse surprendre par cette rencontre qui ne date pas d’hier mais qui revêt d’autres apparats. Cette vie que j'observe à son insu n'attend rien de moi, si ce n’est une invitation. Elle est tout simplement et vient me rappeler que tout est permanence et fragilité, que la vie s'écoule que j'y prenne part ou pas. Grande leçon d'humilité et sourire du jour ! La nature et les petites mésanges bleues ne se trompent pas, le printemps est bien là ; et moi si souvent, très souvent et avec de plus en plus de jouissance à m'en rendre compte, à dédramatiser, ironiser puis refoncer tête baissée. Une autre permanence : trébucher, sauter de joie, se croire arrivée, regarder derrière, jouer à chien et chat, chat perché, s'envoler maintenant. Cette mésange si singulière n'a que sa robe bleue et jaune à la douceur d'un rêve, et son air inquiet qui la rend à la fois si accessible et inaccessible. Elle m'hypnotise un instant, comme un œil accroché à ce tableau que je découvre pour la première fois. Emotion sans cesse renouvelée et intacte à chaque fois qu’elle passe le pas de ma porte depuis le jour où nous devenons ceux que nous serons. Je n’omets pas que l'envol programmé de la nouvelle portée est synonyme de liberté. Et c’est avec la voisine d’à côté que j’ai envie de m’envoler.


Je pleure des étoiles

A contretemps, il pleut, je sors. Il fait chaud et sec, je me planque. Je suis un contemplatif, je sais apprécier les choses élémentaires. Qu’il est bon de prêter l’oreille au clapotis de l’eau, au croassement des grenouilles, au fourmillement des vers de terre ; d’observer de près les auréoles dans la flaque, la terre noire qui bouge sous le passage du lombric, les éclaboussures sur le bas des pantalons.

Tous mes sens sont aux aguets, un rayon de soleil arc-en-ciel, une feuille tournoie dans sa descente, l’odeur de l’humus et de l’herbe épinard, les relents de chlorophylle et de champignons des sous-bois. Si je sors et que je rencontre quelqu’un, je reste coi, je déploie mes récepteurs mais à la moindre menace, j’ai les entrailles qui se tordent, la mâchoire enclume, l’intérieur qui se retrousse. ‘’Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? »

Je peux gêner, il est vrai, j’ai la fâcheuse manie de tout observer. Je suis une éponge mouillée, qui ne cesse de se gorger à chaque passage et quand c’est le trop plein. Je pleure, je pleure des étoiles, ça brille et scintille, je l’appose sur la feuille, ça m’alimente et m’aimante. Je ne parle pas, mais je ne me tais pas pour autant, j’écris.


Le coq

Je peindrai ici l’image d’un oiseau et pas n’importe quel oiseau : un coq ! C’est une bête altière, le cou s’évasant en trompette et la queue coiffée de plumes hirsutes. Son corps vêtu de toutes couleurs porte des yeux ronds qui vous fixent avec fierté et hypnotisme. Sa petite tête ornée d’un chapeau de noblesse s’anime lorsque du fond de son gosier résonne sa célèbre cantate du matin. C’est alors, le regard fixant la dernière étoile, le torse bombé, qu’il pousse le son guttural que l’on reconnait entre tous.

Ce n’est point le colibri, léger et volatil qui disparait dans la canopée. Ce n’est point l’aigle royal planant tel un Dieu dans les cieux. C’est l’emblème de la France qui déploie ses ailes à 2 cm du sol, qui prône son autorité du haut de son perchoir, entouré de sa bassecour assouvie. Quand lui prend une envie de soumettre la poule, il se jette à la vitesse de l’éclair sans alternative et préliminaire. Inutile de faire la cour à sa cour. Sa séduction est tout acquise, sa majesté s’offre à son harem, sa première dame doit en percevoir l’honneur, ébouriffée par tant d’ardeur.

La nourriture : il l’aime. Du gros ver bien gras et gesticulant au grain de sable ou de blé, tout y passe. Son bec pointu et crochu attaque tel un bretteur à la garde saisissant d’une balestra ancestrale le moindre sujet à croquer. De ses ongles apprêtés pour l’usage, son agilité griffe le sol d’un geste vif dénichant des trésors insoupçonnés.

Il pourrait craindre le renard s’il le connaissait rusé mais ceux qui ont eu la malchance de le rencontrer ne sont plus là pour en témoigner. Alors il ne craint personne et saurait doubler de volume si un concurrent viendrait à se présenter. Il ne peut y avoir qu’un bellâtre dans le poulailler. Détesté dans les villes, si je vous présente ce modèle, avouez-le, c’est qu’il respire la campagne du haut de son royaume. Accepter le chant du coq au levé du jour un we chez grand-mère est le pire des cauchemars quand les klaxons ont fusé au feu rouge, en bas de la cage d’escalier et ce, chaque jour de la semaine. Paris veut du calme quand il s’en éloigne. Il mettrait volontiers son favoritisme sur les vaches si celles-ci ne s’encombraient de mouches. Je n’omets pas qu’il préférerait même le surgelé que de l’avoir dans son assiette, parce que c’est mieux pour la planète…

Le Panda

Je peindrai ici, l'image du panda. C'est une bête sage, massive, toute occupée à ramener à elle, les feuilles de bambou, unique objet de son insatiable faim, toujours broyant la juteuse verdure, sous ses mâchoires mastiquantes; ours des plantes, il déploie sa dentition dans les plantations sauvages : Ce n'est point la gesticulation de l'autruche dans ses courses fuyantes, ni la marée des troupeaux de bisons, flamboyante de poussière, ce n'est point aussi, le sous marinage hostile des crocodiles. Le geste méticuleux est là, il est la majesté de la dégustation, de sa fourrure, il est l'alpha et l'oméga du modèle digestif, la nourriture, il l'aime comme un Italien des spaghettis. Sa faim est esthétique, si je vous présente ce modèle, avouez-le, vous le verrez mieux, le panda est un gourmet végane qui paresse à loisir, jamais repu de repas dans ces coins verts et je n'omets pas qu'il est l’emblème des animaux en voie de disparition.  

La Mésange

Je peindrai ici l’image de la mésange. C’est une bête toute en fragilité. Peu farouche, il a fallu la protéger depuis plusieurs années pour la conserver dans nos paysages. A peine plus dodue qu'un moineau elle a bien voulue occuper le nichoir que j'ai mis en place au printemps. Le bois d'à-côté lui sert de garde à manger et sa trajectoire pour rejoindre le nid est toujours la même. Chargée de paille dans les premières semaines ou de nourriture actuellement pour nourrir sa portée, elle arrive à toute allure sans oublier d'identifier ma trop grande proximité. Si c'est le cas elle se pose en près du nid, observe et je ne sais selon quel critère termine sa mission ou rebrousse chemin pour se poser sur la première branche du bois voisin. Nous restons toutes deux à portée du regard. Je sais qu'elle est là parce qu'elle tapote du bec soit à l'intérieur du nid soit sur le perchoir en bordure du passage étroit dans lequel elle se faufile. Elle y pénètre toujours de la même manière en plongeant la tête la première et sa queue frétille avant que l'ensemble du corps soit englouti. Ce n’est point le chuintement du hérisson qui se faufile sous la haie, ce n’est point la patiente tranquille de l'araignée qui tisse sa toile ; c’est un travailleur insatiable au service de ses progénitures futures. Cette petite boule de plumes jaunes et bleues est une danseuse joyeuse, qui tisse le nid avec précision de son bec pince, aiguille et pilon tour à tour. Infatigable, prudente, frêle et obstinée, elle et son partenaire répètent ce ballet devant ma fenêtre inlassablement avec grâce. Acrobate surprenante et modèle de vivacité, elle s'accroche à ma haie dans des positions incroyables, tête bêche ou sur une branche si fine qu'elle ploie sous ces quelques grammes de plumes. Elle consacre les moments de pause à l'entretien de son plumage qu'elle lisse et peigne soigneusement reproduisant, comme pour la confection du nid, un art millénaire. Son chant bref, triolant lui ressemble, bref, joyeux, il envahie l'espace par petites ondes fines, régulières, distinctes. Cet hiver j'ai enrichi sa nourriture de boules grasses : elle l’aime surement puisqu'elle a élue domicile provisoire sur ma terrasse. Maintenant que les oisillons ont fait leur apparition elle favorise le vivant et ne les nourrit que de larves et chenilles. Encore le savoir-faire et la transmission. Il faut que les petits soient gavés de protéines pour pouvoir s'envoler bientôt et surtout apprennent vite à chasser et se nourrir par eux même. Travailleuse, obstinée, attentionnée !si je vous présente ce modèle, avouez-le : vous avez envie de hausser les épaules, passer votre chemin, ce n'est qu'un petit oiseau du printemps que j'aurais si peu remarqué si je ne lui avait pas mis un gite à disposition . Moi, si déconnectée de la nature et de ce qui s'y joue, je reste subjuguée par ce manège éphémère mais que je pourrais reconvoquer l'année prochaine. Aussi loin que je me souvienne, dans mon éducation je n'ai jamais été sollicitée, invitée à mettre les mains dans la terre, à observer et comprendre le monde animal. Alors je me laisse surprendre par cette rencontre.

Cette vie que j'observe à son insu n'attend rien de moi, elle est tout simplement et vient me rappeler que tout est permanence et fragilité, que la vie s'écoule que j'y prenne part ou pas. Grande leçon d'humilité et sourire du jour ! La nature et les petites mésanges bleues ne se trompent pas ; et moi si, souvent, très souvent et avec de plus en plus de jouissance à m'en rendre compte, à dédramatiser, ironiser puis refoncer tête baissée. Une autre permanence : trébucher, sauter de joie, se croire arrivée, regarder derrière, jouer à chien et chat, chat perché, s'envoler sans cesse. La mésange n'a ni goût, ni odorat, son instinct lui suffit, sa robe bleue et jaune a la douceur d'un rêve, son air inquiet la rend accessible. Son assiduité à accomplir sa mission, coûte que coûte m'hypnotise un instant, comme œil accroché à ce tableau que je découvre pour la n-ème fois. Emotion sans cesse renouvelée et intacte. Je n’omets pas que l'envol programmé de la nouvelle portée est synonyme de liberté.


La Souris

 Je peindrai ici l’image d’un petit animal de nos villes et de nos campagnes. Une Souris ! C’est une bête en ce qu’elle comporte 4 pattes, 2 yeux et 2 oreilles en qui les histoires lui donnent autant de bienveillance que d’animosité.

Son petit nez pointu où se perchent des moustaches telles des antennes lui donne l’allure d’un bolide profilé capable de se faufiler là où on ne s’imaginerait pas la voir paraître. Les portes ont beau être closes, malgré son apparence ventrue, cet animal doté d’abstraction, traverse les cloisons s’aplatissant comme une crêpe. Sa vélocité surprenante fait qu’on la craint malgré une corpulence des plus ridicules. Ses petites pattes comme des doigts lui donnent une sorte d’humanité lorsque tenue sur son train arrière, elle lève son museau pour nous regarder de plus près.

Ce n’est point le rat que l’on rend coupable de monstruosité sauf s’il est à l’opéra, Ce n’est point la taupe qui retourne, le temps d’une sieste, le potager amoureusement entretenu. Ceux-là on finit par les maudire de tous les maux,

C’est le livreur de petites surprises sous l’oreiller lorsqu’une dent vient à nous manquer, le confident de ses tristesses, dévoué à notre pauvre Cendrillon, la complicité de Bernard et Bianca dans leur péripétie rocambolesque, Mickey, Little stuart, Jerry, autant de héros qui ont bercé notre enfance. On la préfère, blanche ou marron, surtout pas noire et idéalement verte.

La nourriture : notre petite souris l’aime au point d’y perdre la tête dans la tapette dont la vélocité du mécanisme ne lui laisse que peu d’alternative. On se la figure gourmande et bedonnante sans pour autant entraver sa dextérité. On se demande d’ailleurs, lorsqu’on la surprend, comme elle a pu se retrouver au-dessus de l’armoire, de cette armoire voyez-vous ! Mon garde-manger... Aurait-elle le pouvoir de sa cousine ailée ?

Si je vous présente ce modèle, avouez-le, c’est qu’au-delà des histoires aussi mignonnes soient elles, hors de nos rêveries d’enfants, cette bête nous fait horreur sitôt qu’elle ose faire son logis dans notre logis !! Son don d’ubiquité par un jeu de multiplication d’elle-même en un temps record la condamne sans procès ,craignant les pires nichées que les petites crottes trahissent sans scrupule. Je n’omets pas de penser que si elle se mangeait, elle aurait un tout autre intérêt aux yeux de la noblesse que nous sommes !

L' Autruche

Je peindrai ici l’image de l’autruche. C’est une bête préhistorique, haut sur les cuisses, à tête télescopique et aux yeux ronds, sortant de leur orbite, flanqués de chaque côté d’un crâne chétif, déplumé comme un Chaussée au Moine. Une tête perchée, qui peut aussi bien se rétracter au fond d’un trou, pour se planquer, laissant à voir, sa croupe et son fion à plumes. Ce n’est point la dextérité du lézard, qui se faufile, discret, parfois tête en l’air à en perdre sa queue. Ce n’est point la sagesse du Cœlacanthe, qui se pose dans les fonds marins, observateur et passif. C’est un oiseau lourd qui se déplace sur talons aiguilles, tel un travelo à paillettes, faux cils et rouge à lèvre tapageur. La nourriture, il l’aime broyée, en grain, pour certains, et pour d’autres tordue, gluante, qui s’aspire comme des spaghettis, qu’on avale sans mâcher. Pas difficile, il gobe et graille le tout venant qu’il fait descendre dans son long œsophage et qui a tout son temps pour une digestion lente, dans les méandres de son gros corps pleins de boyaux.

Si je vous présence ce modèle, avouez-le, il a l’étrangeté de ce que la nature peut produire d’incohérent. Un oiseau au long cou, qui plante des choux, les pieds en éventails, le vent s’engouffrant dans le feuilleté volumineux du duvet et des plumes, qui ne servent pas à voler. Leur seule destination : Plumeaux à ménage. Je n’omets pas que ses œufs soient l’apanage des pontifes et émirs. Gros festin de jaunes et de blancs.

 


mercredi 28 avril 2021

Le Prunier

Tout près de ma fenêtre il y a un prunier. Aux alentours de février les rameaux gris se chargent de mille petites tumeurs cotonneuses, d’une couleur timide et difficile à nommer dans l’ensemble. Ces bourgeons, si on les regarde de plus près, sont comme des coques fermes, qui évoluent en petits nodules difformes et verts, des poings serrés, les mâchoires de quelque espèce fossile et carnassière. A leur base courent quelques poils visqueux, une poche amniotique plus sombre où sillonnent parfois des veines. C’est comme une paupière fiévreuse.

On s’imagine l’œil frémir au-dessous de quelque rêve tourmenté, comme la nuit dernière… Je me revois courir, jambes nues, l’écume aux cuisses, chercher l’issue de cette sphère chaude, sucrée et sirupeuse, qui m’englobe et m’entrave, qui ne veut me laisser partir. Je ressens encore la menace de ces voluptés grasses, dont les lianes tentatrices cherchent à gagner mes chevilles. Je m’entends encore me dire « reste, ça n’est qu’un rêve, vois jusqu’où tu peux aller » tentation vicieuse vers un fragment d’épouvante, étude froide et scientifique de mes travers les plus sordides.

De l’extrémité d’un nodule s’échappe comme une langue au liseré rose, frêle et timide, elle semble prendre la température de l’air, au chaud entre ses lèvres austères, on l’imagine bientôt s’étirer tout à fait et laper cet air tel un chien avide.

Je me revois revenir à moi entre les quatre murs de la chambre, apercevoir dans l’ombre l’armoire normande et sa corniche familière, et m’y raccrocher en haletant pour que le sang me revienne aux pieds, pour ne plus ressentir ces caresses à la tendresse écœurante.

Dans quelques semaines l’arbre moutonnera de pétales devenus tout à fait blanches, et ce sera alors un ballet bourdonnant d’insectes, tous hypnotisés par leur individuelle entreprise, s’entrecroisant sans s’effleurer dans une chorégraphie du Tout, une affaire rondement menée, un Rungis de l’impasse du Vallon, entre le gros figuier et le pylône EDF. Les pistils se battront pour s’offrir en rusant de leurs meilleurs effluves.

Au sortir de mes terreurs nocturnes, quand de nouveau j’ai pu sentir mes orteils, j’ai ouvert la fenêtre. Le froid de d’hiver s’est engouffré avec ses notes de tête alourdies de fer, un quelque chose de minéral venu de la fonte des neiges, à des kilomètres de là. En fond on devinait de l’herbe grasse, une sève gorgée d’eau qui n’était pas sans rappeler quelque plante vénéneuse, et les relents d’une lessive bon marché, accrochée aux draps qui séchaient sur le balcon d’en face. La note de cœur, timide, révélait comme une odeur de fruits jaunes, absente encore hier. En me penchant, je me suis aperçue que le prunier avait repris vie dans la nuit.

Ils sont comme ça : lui et l’amandier, ils crient victoire avant les autres.

Bidule vert de Vigne Vierge

Il me faudrait une loupe ou une pince à épiler pour tenir ce maigre bidule vert. Tête ronde qui prédomine sur la tige et son collier de bourgeons faux-culs, qui gravitent autour. Un semblant de constellation, une planète et ses satellites mais infiniment petite. Petite verrue sur un doigt de pas-géant vert ou main atrophiée de mini Hulk, pas incroyable, avec des bouts de doigts turgescents.

Si je regarde à l’intérieur de moi, je peux y voir mon utérus avec une trompe normale et une, tellement mal en point, qu’elle s’est rabougrie et dédoublée. Ou mes amygdales qui se serrent quand j’ai du mal à avaler une pilule sans eau. C’est possible que j’ai une glande plus grosse que l’autre. C’est serré, ça étrique, ça tire et retient le liquide, c’est comme un dessèchement intérieur. Tout mon système à boules, glandes, œufs, se rétracte, s’assèche et meurt. Une décrépitude de l’intérieur qui est sensée donner un fruit ou une fleur. Là c’est sec, plus de jus, plus de pulpe, un délabrement de mes ovaires, une traversée du désert ; ma glotte qui refuse de parler, de s’associer, de se sociabiliser. Une rétractation intense, un repli sur soi suite à l’air sec et peu brassé du confinement. Si on devait retrousser mon corps, il serait ridé, ratatiné. Un cuir jauni et tari, un cuir assoiffé.

À la lumière, à mieux observer, en plissant les yeux, et en se concentrant sur le bourgeon, je vois de prime abord un personnage à trois bras levés en l’air qui invite à une danse. Un enthousiasme, un salut de bienvenue. Et, en me tordant le cou, le nez vers la lumière, un détail ignoble ou plein d’espoir ; une tête qui se dédouble, des mains qui se dédoublent, un personnage qui se transforme pour être deux fois plus. Deux fois plus forts, deux fois plus nombreux, deux fois plus vivants. Et oui, en regardant avec une extrême attention, ce n’est pas par deux mais par quatre que le bidule vert se découpe ; se coupe en deux, en quatre. Se plier en quatre, c’est cela, à force de faire mon maximum. Je puise dans mon intérieur, c’est invisible, inaudible, impalpable mais pourtant la conséquence est bien là. Se démener, se dédoubler, serait-ce vivre et produire ? Mon corps va-t-il finir par craquer, se dédoubler et me rendre deux fois plus fortes, quatre fois plus moi ? Une oreille qui entend encore mieux, des yeux omniscients, un instinct indéfectible, une abnégation naturelle, une fortification intérieure, se croire réduit à néant pour finalement exploser en surpuissance, en maturité, en compétences jusqu’alors inexistantes ou inconnues.

C’est bien là, l’énigme de la vie, un bidule vert qui s’ouvre et déroulent ses feuilles qui s’étaient mises en boule. Le tondu et ses trois clampins, deviennent de larges feuilles veinées qui se gorgent de soleil et exposent leur vert tendre à la lumière ardente et loin de prendre des coups ; le soleil les choie et les inonde d’un raye bénéfique et fortifiant. Et si je me mettais au soleil, si je m’exposais au monde, je deviendrais, je grandirais, je déploierai mes membres en des extensions invisibles mais puissantes, qui terrasseraient tout ce qui me fait peur. Gorgée de lumière, je serai l’astre attractif qui irradie et se reflète dans ce qu’il y a de plus terne autour.

Bourgeon et moi

        Le bourgeon que j'ai cueilli a le teint sombre, oscillant entre le violet et le vert, d'une taille qui ne dépasse pas celle d'un grain de riz. Son corps lisse semble s'extirper de différentes petites enveloppes végétales, couches qui s'écartent à sa base pour le laisser passer. Il n'a rien d'un pillier solide et semble au contraire fléchir, dessinant une courbe légère. Le bout du bourgeon, doux et timide, n'écorcherait rien s'il venait à rencontrer un autre corps.

            Je le regarde et je me vois, tendre et chétive, indécise face à la lumière. J'ai toujours été un

peu tordue, je n'ai pas poussé droit. « C'est un corps qui trahit un manque de confiance » avait soupiré un vieux docteur à lunettes sur un ton paternaliste, érigeant les vérités générales d'un manuel poussiéreux. Toutes celles et ceux qui ont officiellement éclot me le répètent : chaque seconde est une nouvelle expérience qui construit chaque humain en tant qu'adulte, une marche de plus vers l'accomplissement dynamique et sportif de ses objectifs. Entourée de troncs droits et robustes, de feuilles au ramage impeccable et de buissons éclatants, je hausse les épaules : une seule idée en tête, retourner sous ma couette et me rouler dans les couches originelles, au creux des branches.

             Mes yeux se posent de nouveau sur le petit être végétal et je le retourne, pour examiner son dos. Il me paraît davantage vouté et fragile. Rien ne semble annoncer le moindre espoir d'enthousiasme, excepté, peut-être, une des petites enveloppes de matière végétale qui s'est ouverte pour laisser jaillir la pointe. Elle l'empêche d'être complètement nu et démuni : une jupe à volants, fleurie, rougeoyante. Un détail, mais qui illumine doucement la pointe, qui l'accompagne, l'identifie, donnant un regain d'énergie au reste de son existence.

   

          Les jupes ne sont pas toujours mes alliées mais peut-être qu'il existe d'autres possibles que pousser sagement, pousser tout droit, d'autres possibles que la rengaine : bourgeon tu es, feuille tu deviendras, à ta place et sans bouger. L'une des jardinières parmi toutes celles et ceux qui m'ont observé, surveillé et évalué, a repéré ma volonté très relative à vouloir m'élever et m'a chuchoté : « allez vas-y, grandis, il y'a des choses à inventer ! ». Mes racines sont assez tenaces pour oser se faufiler sur plusieurs sentiers ; je peux m'affirmer bourgeon, en posant mes propres conditions.

             La pointe habillée et fleurie prendra son temps, restera tendre et gagnera en confiance. Sa jupe à volants continuera à l'accompagner, son tour de taille demeurant à l'identique. Les végétaux voisins la regarderont avec des yeux ronds et les sourcils froncés, mais elle n'y prêtera plus attention car elle éclatera de liberté. Elle aura adroitement éviter les tempêtes et les gloutons, éclora tardivement, et s'accomplira en tant que grande feuille biscornue et différente, aux couleurs bigarrées et vives, justement porteuse de possibles et d'imagination, pour tous les bourgeons à venir.

             Le bourgeon que j'observe ne voulait peut-être pas grandir mais il voulait rester vivant ; alors il n'avait d'autres choix que de continuer à mûrir.  Comment peut-on mûrir ? Semblable à toute pousse sortie d'un creux et qui reste accrochée à sa branche, je poursuis ma vie. Je ne deviendrai pas une belle plante. Je garderai des trous et en referai des nouveaux, mangée par les insectes. Je serai heureuse de continuer à me plier – pour me reposer - et à me déplier, puis à me redresser quand je l'aurais décidé. J'espère changer de branche, rencontrer de nouvelles feuilles, qui n'auront pas poussé droit. J'ai déjà vécu des éclosions. Il en reste mille autres à vivre, mais d'une certaine façon, il y'aura toujours en moi un bourdonnement de bourgeon.

Bourgeon de Rose

Les nuits sont encore longues, les matins sombres. Les oiseaux timides bourdonnent à peine en présage du printemps. Je surveille avec délectation malgré la fraicheur encore persistante, les petites épingles de verdures qui s’attachent aux rames épineuses de mes rosiers taillés dans leur costume 3 pièces de circonstance. De petites feuilles foncés et brillantes se revendiquent avec insolence en foliole, attendant que les grappes de roses leur volent la vedette. Et je t’ai vu petit bouton hésitant à ton devenir, craignant la précarité d’une naissance trop précoce sous un soleil encore vaporeux. Le vent qui continue de tousser, le froid de nous enrhumer. Planté sur ton pédoncule comme un trophée, tes sépales serrés et effilés laissent à peine deviner ton calice en germe. Nul ne sait la couleur de ta corolle sous ta cape de soie épaisse, en tenue de camouflage, sauf moi qui te connais de génération en génération. Tu seras la reine de mon jardin avec tes moultes jupons roses couvrant pudiquement tes anthères qui trôneront au bout de tes étamines fines et délicates.

J’aime ce moment où je te regarde grandir, accompagnant le chant des oiseaux que tu appelles dans ta solitude. Les pucerons tentent déjà quelques assauts à ta beauté sucrée, violant ton intimité encore chaste et sans revendication. Mais je serais là pour te protéger, te donner le temps de te parfaire dans tes velours parfumés. Tes acicules auront beau acérer leur piquant, ils ne gâcheront pas la douceur de tes propos. Car tu me parles, me contant le temps qui passe, trahi par ta frondaison envahissante et tapissant mon mur de pierre.  Tu es la première, celle de tous les honneurs, l’ainée d’une fratrie que tu élèveras pour partie, celle que je ne couperais pas parce qu’unique à cet instant.

Ce matin, j’ai vu exploser tes sépales, comme de longues écailles fendues sous la pression, libérant une énorme goutte, dense, opaque et veineuse. Tes pétales, collées les uns contre les autres renferment encore un secret près d’éclore. De fins canaux couvrent ta peau, irriguant ma joie par la rosée qui perle délicatement sur ton épiderme. Je ne te touche pas de peur de te gâcher, respectant ta virginité dans ce nouveau monde. Tandis que ta maturité fait son chemin, d’autres petites flèches, s’éperonnent au bout des tiges cherchant à te ressembler. La verdure s’embrase, t’accueillant dans son lit.

Ma fille est à ton image, les boucles dans les cheveux et le rose aux joues, elle fera tourner la tête à plus d’un poète et à d’autres plus audacieux.

Abreuvez-vous des aubades pour murir au soleil sous votre robe de corolle. Lorsque vos pétales tomberont, mon cœur battra encore sous vos paupières, laissant une nouvelle saison pour croître et parfumer le monde aux milles étamines.


Rhododendron

 J'ai fait l'acquisition d'un jeune rhododendron cet hiver. Comment savoir si l'emplacement que je viens de lui choisir dans le jardin lui conviendra ? Je n'ai pas pu résister à la promesse de tous ses bourgeons, déjà prêts pour l'été suivant. Certains n'ont pas survécu et je suis inquiète. Je l'observe tous les jours pour savoir s’il se plait ici et s’il me tiendra longtemps compagnie. Le bourgeon de rhododendron est d'une complexité absolue. Rien à voir avec le petit bourgeon timide qui donnera une fleur et puis peut être un fruit. Lui, il cultive la complexité. Il est à lui seul le futur de la branche, de la feuille et de la fleur. C'est un bourgeon qui n'est pas timide, qui voyage groupé. Pas question de rester planqué sous les branches mais sans arrogance il donne forme au buisson, cet aspect massif et en devenir invite à la rêverie.

Celui que j'ai cueilli est un entre deux. L'explosion est à venir. Il déploie de petites feuilles et garde au cœur en petites bourses gonflées et lisses la fleur qui attend son heure. Le centre est encore fermé mais la courbure des feuilles, vers l'extérieur ne laisse aucun doute. Aucun mystère, le voyage est annoncé depuis longtemps, le comment, le pourquoi, le quand. Pourtant le jour venu de la libération de la fleur, je sais que je serais émue de son apparente fragilité.

Il est à la fois synonyme d'unique, d'une temporalité sans surprise et d'infini, de permanence de la nature. Son chemin, cadeau de la vie, est tout tracé.  Le bourgeon n'a aucune capacité d'intervention, il est né pour nous dire la saison, se gaver de soleil, ouvrir ses bras, laisser s'épanouir la fleur, lentement doucement et s'offrir aux oiseaux et au vent. C 'est une invitation au don, à l'amour, à l'accueil inconditionnel.   Cette réalité me saute au visage, dans ce monde ou les conseils fusent sur le : « rapprochez-vous de la nature, respirez là, laissez-vous imprégner, le bien être est au bout du chemin », ce bourgeon est le bienvenu. C'est une beauté brute qui s'offre à mes yeux, la savourer c'est accepter le vivant, la possibilité d'un tout en perpétuelle transformation qui respecte autant les racines que les nuages, 

Ce serait si simple de suivre cette voie, de laisser venir la vie à soi, d'être comme le bourgeon sur la branche, jouer sa partition comme elle vient sans se poser de la question du pourquoi et du comment. Et le mien chemin ? Cadeau ? Ma propre métamorphose est inscrite elle aussi. De nouvelles rides et raideurs me le chantent tous les jours. Mon corps parle, dans les moments de grande paresse, j'invoque la déesse destinée pour me dédouaner de toute responsabilité et me susurrer à l'oreille : « c'est normal, tu n'y ai pour rien, c'est génétique les rondeurs, tu ressembles à ta grand-mère » Alors, j'évite de penser à tous les kilos de chocolats dévorés, l'appétence démesurée pour le bien salé et le bien gras. La rébellion mal placée me fait dire que puisque la vie est un cadeau j'en fait ce que je veux ! Il y a longtemps, la vie m'est tombée dessus, j'ai regardé autour de moi, elle était à personne, alors je l'ai mise sous mon bras et j'ai avancé sans me retourner. J'ai gonflé mes joues et ma poitrine comme le bourgeon, à bloc. L'éclosion était toute bizarre, je le ressens encore. A 10 ans j'avais la tenue et à 14 ans j'ai tracé la vie comme un sport de combat. Un seul adversaire ... moi et les moulins à vent. J'avais l'instrument mais comment en jouer ? Raccrocher les gants et aller demander conseils aux arbres, aux fleurs et aux montagnes à pris du temps. La rage, la colère n'ont jamais pu s'exprimer pour laisser la préférence à la rapidité et l'esquive.

Mais pourquoi a-t-il fallu que j'obéisse à cette invitation à l'écriture et que je te cueille ! Aveuglée par le désir de rêverie, de jubilation à mettre en mots j'ai oublié que tu ne m'appartiens pas. J'ai tué ta vocation à être, à produire une magnifique fleur qui aurait pu inonder l'espace de ses odeurs et de ses couleurs. Il faudra que j'attende encore patiemment que ceux qui ont échappés à une main sauvage fassent tout le voyage pour connaître ce que tu aurais pu devenir. Je vais te laisser sur le coin de la table pour ne t'oublier et te dire le moment venu les belles couleurs de la robe que tu devais porter.

Barbare que tu es, arrêtes de piétiner le vivant, regardes toi, avance, ouvre les bras, respire et expire. Laisses monter la colère pour une victoire à l'arraché, laisses grandir cet espoir acharné que toi le petit grain de sable n'est rien mais indispensable, donnes du sens à cette rage profonde qui t'anime, Ta petite tragédie quotidienne n'est pas grand-chose alors pourquoi l'ignores-tu. Quitte ce ring, piste de danse ridicule. Il n'y a plus rien à défendre, que des rencontres et de nouvelles expériences à vivre. La curiosité est ton nouveau point d'horizon.

La vie est un cadeau jusqu'au dernier souffle et le tien, tu en fais quoi ?

lundi 29 mars 2021

Isabelle crie aux corneilles

Des corneilles volent au-dessus de la forêt sans feuille, le vent souffle, la tempête s’annonce. Les maisons se ferment et se vident, les bourrasques font fuir les habitants, tristes et sans défense. L’ouragan approche de toute sa hauteur, au-dessus de la ville blanchie sous la neige. C’est un cataclysme qui inonde les rues, balayant tout sur son passage. Tout sera à reconstruire, tout est détruit. Les maisons n’ont plus de toit, les oiseaux se réfugient par les carreaux cassés. Les gravats volent sous le vent. La catastrophe s’étend. 

Ce n’est pas la première fois que le pays connait une telle tempête, et à chaque fois c’est la même chose. Les marins et les habitants se souviennent et racontent. Ils pleureront encore leurs morts et leurs dégâts devant les corps perdus et les décombres. Quelques secondes seulement pour tout anéantir et des années pour se reconstruire. Deuil et ruine lorsque le cyclone est passé. La ville est dévastée, il ne reste que la désolation pour les survivants.


lundi 22 mars 2021

Laurence sur une île

Une île au milieu de l'océan, un soleil rouge éclaire une plage de sable fin, revêtant la même couleur. Un homme nu debout sur la plage. Pas de vêtements laissés par terre dans le périmètre alentours. L'homme a une bouche ouverte en grand, d'où sort un cri. La tête est penchée en arrière, les deux mains en entonnoir autour de sa bouche poussent le hurlement en direction des cieux. 

Les mains s'écartent, restent en suspens puis retombent le long des cuisses à la pilosité forte. Mains aux doigts secs et caleux sur poils noirs. Puis c'est tout le corps qui s'effondre et s'étale sur le sable. L'homme sur le dos a les yeux rougis. Il les ferme. Des larmes coulent sur ses joues couperosées. Les jambes et les bras de part et d'autre du corps, inertes, et le ventre creux, qui monte et descend dans une respiration saccadée. 

Un filet de voix incante et réclame l'aide de Dieu. L'homme, pris de convulsions, est seul sur ce monceau de terre. Des oiseaux survolent l'île en arcs de cercle de plus en plus resserrés autour de l'individu au sol. Le ressac de la mer approche la plante des pieds de l'homme sans la toucher. Des ailerons de requins apparaissent en surface dans la marée basse. 

L’homme plie un bras et s'accoude sur un côté puis le bras flanche et l'homme retombe sur le dos. Il renouvelle la position mais flanche encore. A plat sur le dos, le visage se déforme, le corps convulse, les yeux roulent dans leurs orbites. L'homme bredouille des phrases dans sa barbe, postillonnant, tirant la langue, lançant sa tête de gauche à droite. 

Un temps. Silence. Il ne bouge plus. Les oiseaux atterrissent sur le sable. Traçant des étoiles dans le sable, ils viennent picorer les orteils de l'individu.  Qui sursaute, se redresse. Donne des coups de pied dans les volatiles. Le visage aux lèvres pincées, le port de tête droit, il est debout, fait dos à la mer et se dirige vers la jungle. 

Il gravit la colline, le regard fixe sur le sommet de l'île. Ses pas avancent à travers les plantes grasses et les ronces. Ses mollets se colorent de rouge, le sang perle à mesure qu'il progresse. Les oiseaux virevoltent au-dessus de lui. Des oiseaux aux multiples couleurs, parfois fluorescentes. Ils chantent au-dessus de sa tête.  L'homme avance toujours. Ses pieds arrachent des lianes pleines de ronces et s’y enfoncent, l'un après l'autre. L'ascension. Le sommet. Une lumière diffuse un halo éblouissant. Dieu. Dieu est là en face de lui. Il tend la main et lui montre le paradis. 

Sur une île

Il crie cet homme nu, sur une île. Il hurle à Dieu, « donne moi la clé, jette donc les dés ». Mais Dieu se cache, absent, inexistant. Désespoir. Absurdité. L’homme s’effondre, mou, comme le sable. « Oh ! enjoint l’Eternel. Lève-toi et marche » !

Ce spectacle était indubitablement cruel. Un mot interminable vint à l’esprit de Solman : « Intermineralisinventiquestranarchophagipoesidanimzlierofragilusr ». C’est peut-être ce que dirait Dieu s’il s’intéressait à nous autres, pauvres créatures perdues et abandonnées sur cette pauvre terre ? Dieu est incompréhensible, se disait l’Homme perdu dans ses pensées. « Prêter des paroles humaines à Dieu, se serait l’enfermer dans nos schémas de pensées syntaxiquement humains, dans une sorte de parallélépipiède hyper étriqué », se disait Solman dans cette longue méditation mélancolique et contradictoire, allongé de toute sa longueur, de toute sa lourdeur, dans le sable chaud. Dans un regain de volonté, l’homme tenta de se relever, combativement pourtant. Mais il retomba lourdement dans le sable, dérouté, révolté. « Dieu tu es un hors la loi. Dieu, tu ne respectes rien ! apostropha t-il. Anticonstitutionnellement, tu as décrété le souffrance et la solitude sur cette terre ».

Dieu ne parla pas à Solman. Enfin pas comme il l’aurait cru. Quand Solman fit enfin cesser sa petite voix victimaire, il réussit à se lever. Il décida de quitter la plage pour découvrir la jungle que recouvrait la colline environnante. Il oublia sa révolte, son sentiment d’abandon et de solitude. Il voulait désormais atteindre le sommet et se concentra bientôt totalement à la réalisation de ce but. Par une intuition surnaturelle, il avait désormais la certitude qu’une expérience initiatique l’attendait tout en haut. Les plantes grasses et les ronces lui dévoraient les mollets. Solman n’y prêtait plus attention. A mesure que son ascension progressait, il découvrait des espèces d’oiseaux multicolores et fluorescentes totalement inconnues. De leur bec jaune s’échappait une mélodie envoutante. Solman se sentait pousser des ailes.  Ses pas se faisaient plus légers et s’extirpaient des ronces dans une fluidité évanescente et sereine. L’ascension touchait à sa fin, quand enfin, Solman Le vit, Lui, Dieu, à portée d’Homme, dans son paradis originel.

Mutique Observation d'Armelle

Il est là seul, cet homme, ce vieux fou entièrement nu, sur ce rocher du bout du monde, ce caillou situé non loin de Lampedusa rythmée par les arrivées massives de migrants éreintés par la vie, déchirés dans leurs espoirs, cassés dans leurs illusions déçues. Il a pris possession de cette petite île il y a 10 ans. Il vit là reclus à regarder les mouettes virevolter au-dessus de sa tête, tanné par le soleil et heureux de contempler la mer, le soleil et l’éternel recommencement des vagues. Il a tout quitté pour oublier. La violence, la peine, la souffrance, le déchirement… Pour s’installer ici, seul. La mémoire lui fait défaut. Il est devenu étrangement hermétique à la cruauté du monde, comme s’il voulait s’en protéger. Voir au bord de l’eau le cadavre de cet homme qui gît ne l’emplit ni de dégoût, ni d’écœurement, encore moins de révolte et d’horreur. Il regarde cliniquement le macchabée se faire déchiqueter par la mouette. Et trouve une certaine beauté dans ce spectacle. La mer apporte son lot de cadeaux, se dit-il. La mer nourricière… L’homme et l’oiseau récupèrent… Tous ces cruels naufrages sont des aubaines pour ce robinson des temps modernes : des bouts de zodiacs éventrés, des vêtements déchiquetés, des gilets de sauvetage perdus sont quelques-uns des « trésors » que la mer lui offre pour orner sa cabane sur la plage.

Mutique Observation d'Annie

Mission 17082015

Drone 646666

Objet : Humanoïde hors champ repéré par recherche aléatoire sur zone inexploitée

Descriptif :

– Identité et mode de vie non référencés

– Aucun enregistrement de transactions ces 20 dernières années

– Cartes génétiques et de connexions inconnues

Zone d'investigation

Point 25XY0, section nord-ouest du grand océan, sur un rayon de 25KM

Attention particulière

Visibilité correcte une fois tous les 4 ans, aucun champ magnétique identifié.

Résultat attendu :

Regrouper le maximum de données pour mise à jour du profil

Rapport :

Vol du 29 février 2077

Balayages infrarouges répétés à intervalles réguliers. Repérage petit ilot de 1ha environ. Gros rocher sombre, peu de végétation, une crique escarpée avec plage blanche caillouteuse.

La bande sonore correspondant à la durée de l'expédition est remise en fin de mission pour étude. Il sera nécessaire d'isoler les sons pour en identifier l'origine.

Difficulté d'exploitation pour sonothèque et traduction en raison d'un silence à réverbération.

Mise en évidence de volatiles, à grandes voilures noires, en bande, dépeçant une proie inerte et flasque échouée en bordure du rocher. Descriptif du sol rendu complexe par la présence en grande quantité, d'objets aux formes inconnues où dont la présence sur ce lieu interroge. Des déchets archéologiques et civilisationnels l'expliquent en partie. La liste avec photographies est jointe au rapport pour confirmation.

Humanoïde repéré à la sixième heure d'investigation et enregistré/ ramassage de bois sur la plage, aucune transaction repérée/rassemblement de cette cueillette sur zone plate, déboisée/L'entassement de typologie « maison de castor » semble constituer un abri. A vérifier.

Un zoom permet de préciser le sujet : pigmentation argile N°19, Système pileux persistant. Zones de transpirations sur torse et crâne. Activité évaluée comme aléatoire où à objectif inconnu. Des allers et retours fréquents, associés à de l'agitation de tous les membres et des cris sans destinataire visible, vers les objets désignés ci-dessus. Ces périodes excitatoires sont ponctuées par une inertie type sommeil ou observation mutique, face au grand océan.

Les volatiles décrits plus haut, tournent plusieurs fois au-dessus de lui. La bande son pourra nous confirmer si un mode de communication direct, non connecté existe entre ces deux espèces.

Nous confirmons l'absence de toute vie civilisée et de tout danger concernant cet échange cellulaire non connecté. Néanmoins les pièces jointes sont à investiguer et à rapprocher des prises de vue transmises, pour servir d'alerte si d'autres cas parvenaient à notre connaissance.

Mutique Observation

Le cri mou des canailles, loin de la rade, n'entrave point, le chafouin cannibale, désossant, amplement un cadavre de noyé, bien gonflé... Il s'applique vite, connaisseur saisisseur, de la découpe anatomique. La plage caillouteuse accueille les rejets de la mer, merveilleusement !

Oh les naufrages, heureux pour cette contrée, apportant leur lot d'objets peu vifs, pour décorer la côte de choses secouées... Cette île est une aubaine de grenier, ou le cannibale nu, fait ses emplettes pour corser sa cabane de branches de bois urbainement travaillés. Le sort en est jeté, comme les dés du hasard, et l'homme bronzé capture à loisir, ce que les entrailles des épaves larguent sur la plage de cailloux. La clé des distractions, c'est cette abondance d'excroissances maritimes, que la mer abondante déverse, sans réserve, et ou le bonhomme fou, joue à vivre, au milieu des océans.
Parallélépipède est la construction branchouillée, bidonnée et enchevêtrée de morceaux de tissus épars et bariolés couverts d'épaisseurs iodés. Syntaxiquement, mutiquement, tacitement, l'habitant errant, sur la terre volcanique brandit ses bras pour des jeux gestuelles sans réponses, face aux oiseaux trop haut pour autoriser un espoir de réponse, face aux gestes du dément, qui peste, à sa manière, de sa condition d'isolé désolé qui ruisselle sous l'action échauffante du soleil crâneur. Le spectacle journalier, qu'offre, les vagues venues de la mer finissant sur la plage, est une infinie beauté, pour l'homme voyant cela tous les jours, dans une métronomie totalement engagée dans la répétition des sons et des lumières. Indubitablement, le bizarre de la vie ilaire, ne rend pas atrabilaire, l'homme morne qui s'orne de rien. Anticonstitutionnellement, y'a pas de règlement, sur ce bout de terre où il ne fait pas fier.

Intermineralisinventiquestranarchophagipoesidanimzlierofragilus, y'a rien à dire, pour tenir sur cet îlot idiot.
Y'a les nuages plus oisifs que les oiseaux, pour arracher à la torpeur, l'homme morne basé sur l'insensé caillou douillé qui marine sur l’océan. Et les oiseaux sauvages comme des taches, s'arrachent du ciel pour rire autour de la pierre habitée de nids et d'illusions. L'homme aimant les pacotilles et l'exotisme, s'extase en silence des cris envahissants, blanchissant son cerveau déshabitué de paroles, des laconiques expressions que les becs dansants, lancent à cette terre blême.

Oh Vincent ! Tu tchatches trop fort !

Il entre dans le bar bruyant, et fait taire, le troubleur, en criant. En son for intérieur, pour lui, enfant avec presque rien, le bonheur est dans la tête, inventer est libérateur, alors après ça continue, inventer de peu, à la façon de Saint-Exupéry, pas comme Asimov. Faire du Mary Poppins, faire des mots et ne pas les perdre. Dans le bar tabagique, les accrocs aux jeux s'adonnent, lui regarde, on lui dit qu'il est poète, ça lui fait voir son visage dans l'aquarium.

Oh Dédé ! Tu tchatches trop fort !

René vient de franchir la porte du bar des sports, et, excédé par le bruit ambiant, s'écrie :

Oh Dédé !

Tu tchatches trop fort !

Qué boucan c’ui là !

Lâche-nous avec tes dés maudits va.

Tu joues tu cries tu secoues tes bras mous, on dirait un fada.

T’attends quoi ? Gagner le gros lot pour te la couler douce sur une ile ?

Mais c’est pas ça la clé du bonheur !

A part :

La voie de la félicité, je vous le dis chers lecteurs, elle est dans la boite à clous. Indubitablement, ce qui me fait prendre mon pied, c’est ma caboche.

Quand on a grandi avec peu, sans livres ni jouets, il faut faire preuve d’inventivité pour ne pas mourir d’ennui. Mais si vous avez assez d’imagination, pas besoin de théâtre pour aller au spectacle. Votre petite tête se charge de métamorphoser la réalité, de planter le décor, de dérouler l’intrigue. Comme dans le Petit Prince, vous savez. Un simple parallélépipède se transforme en boite contenant un mouton.

La fabulation c'est la libération. Et pas besoin d'avoir l'imaginaire d'Asimov pour embarquer dans la fusée de la fantaisie. Comme dans Mary Poppins, vous vous souvenez ? Sauter à pieds joints dans un tableau, c'est bête comme chou comme idée, mais qu'est-ce que ça ouvre comme possibilités !Intermineralisinventiquestranarchophagipoesidanimzlierofragilus, c'est pas ça qu'ils disent dans le film ? Ha ça, s’ils le mettaient dans le dictionnaire, ça serait bien le mot le plus long. Encore plus long qu'anticonstitutionnellement. Quel mot rébarbatif. Franchement, la langue française en connait des plus poétiques. Aurore éclatante de promesses fugaces électrise l'atmosphère inerte d'une nuit fantasmagorique. Bon, syntaxiquement c'est un peu lourd certes, mais quels mots ! Ça roule, ça caresse, ça chante....

Je crois bien que c'est ça qui m'effraie le plus, perdre mes mots un jour. Alors combativement je m'applique, chaque jour, à en utiliser le plus possible pour pas qu'ils m'échappent, pour les garder près de moi le plus longtemps possible. Je les chéris, je les chantes, je les écris..

Dans l'ambiance enfumée du bar, les joueurs invétérés misent, jettent les dés, cochent les grilles, grattent les tickets. René embrasse la salle du regard avec tendresse, et s'arrête sur le visage de Bertrand, le patron et ami de longue date. Il discute avec un jeune homme souriant accoudé au comptoir. Ce dernier remarque René et l'apostrophe : "Oh le poète, comment il va ?". René reste interdit, et fini par bredouiller un petit "Ça va, ça va". Le jeune homme quitte le bar en adressant un signe de la main aux clients.

René s'approche du comptoir et s'adresse à Bertrand :

- Dedieu, je savais pas que j'avais une telle réputation...

- Bah mon vieux, tu le connais, c'est Flo, le petit fils de Michel, qui est de passage à Marseille. Il était là la semaine dernière.

Le regard de Bertrand s'assombri. Il prend la main de René.

- Ca s'arrange pas hein ?

Atterré, René se tourne vers l'aquarium qui trône au bout du zinc. Il tente de saisir dans le regard du poisson rouge ce qu'on peut ressentir quand la mémoire nous fait défaut. Mais tout ce qu'il réussit à voir dans le reflet du bocal, c'est le visage d'un vieux singe à qui on apprend pas à faire des grimaces.