vendredi 24 mars 2023

Laurence à la façon Süskind

​Alors, laissa-t-elle vagabonder son imagination devant les étals du marché, une grappe de raisin gorgée de jus à la peau si fine et si tendue que l'on pourrait croire que le contenu juteux exploserait au moindre attouchement. Le raisin blanc et le transparent de son grain offrant l’avantage d'en deviner le noyau. 

Une orange un peu flétrie, qui ajoute aux capitons, un aspect ridé de fesses de grand-mère, à l’exception faite de sa couleur encore vive mais qui pourrait être celle d'une peau tannée par un soleil brûlant. Les bacs d'olives provençales laissent échapper une odeur amère et épicée à laquelle se rajoute l'odeur musquée des bâtons de cannelle qui tapisse ses narines d'une poudre apaisante. Elle sourit devant la caisse de figues séchées, petites bourses brunes rabougris et essorées et surmenée suite à une activité intense. Elle reconnaît dans chacun des fruits, légumes et condiments, un détail de son quotidien intime, elle transformait la diversité des étalages dans une réalité propre qui était la sienne. Des pommes à la tige pointant vers le ciel, des poires aux embouts gonflés et tendres, des cerises, toujours par deux, rutilantes et affriolantes. Des bananes souvent charnues, mais quelques-unes ratatinées, ayant perdu de leur vigueur, de leur couleur ou juste à une peau de banane sèche et à l'abandon, bien connues d’elle, de celle dont la vie peine à être ravivée, qui arrive déjà dans une défaite outrageante, sans espoir de courbure glorieuse, même éphémère.  

Romain à la façon de P. Süskind

Aussi se faisait elle rire en perfectionnant son art de l'analogie devant les étals de marché quant un homme au costume en lin la poussa dans l'étal des bananes. Son talon droit carmin se cassa entre deux pavés humides et son visage poudré vint s'écraser contre le régime de bananes flétries, passées du jaune au marron Les mains imposantes de l'homme, gantées de cuir vinrent palper sa robe bouffante encore gonflée du mouvement de sa chute. Les doigts agiles et brusques de la brute cherchaient probablement où elle cachait les billets multicolores qu'elle obtenait en échanges de ses services charnels et discrets. Quand elle reprit ses esprits, ses longs cheveux bruns et bouclés lui cachaient la vue. Elle sentit son sang ne faire qu'un tour, monter à ses tempes et lui resserrer les poings. Une pulsion chaude et soudaine prit le contrôle de son bras droit et envoya son poing dans la figure flasque et effarée du goujat. Son visage passa du blafard au rouge sang, comme celui des clients à qui elle prodigue ses soins habituellement. Mais l'air de panique qui fit détaler le pickpocket comme un lapin était un nouveau pour elle. Des passants aux regards pleins de compassion et aux bras remplis de fruits l'aidèrent à se relever. Elle remit ses cheveux en arrière, de ses doigts redevenus délicats et reprit son chemin.

 

Romain à la façon d’A. Baricco

et puis la vie, elle te prendra toujours en traîtresse quand tu croyais que tu aurais un peu de répit hop elle te rappelle ta condition. Alors…Ce n'est pas que je pense pouvoir prétendre à plus que les autres. Non, mais au moins la même part de bonheur. Je n'ai pas voulu suivre les chemins qui m'étaient imposés, finir mes jours au couvent, non merci ! Mais il m'a fallu trouver ma voie toute seule. On croit que c'est notre originalité, notre détermination qui nous sauvera. Non. Ce sont les autres qui nous sauvent. Sans l’intervention des filles, je ne me serais jamais défait des pattes de ce salaud. Si je reste avec elle, je m'en sortirai peut-être. En marge mais ensemble. J'ai mis du temps à la comprendre, mais la vie tôt ou tard te met face à ses épreuves. Et tu t’aperçois que tu as fait fausse route jusqu'ici. Ce sont les fausses routes qui m'ont menée sur ce marché. Des mauvais choix qui m'ont amenée dans cette impasse à cette heure-là. Et je m'aperçois que là où je suis maintenant, je ne peux pas regarder en arrière sans me faire du mal. C'est là que tout se complique, il ne suffit pas d'avoir conscience de ses erreurs pour rectifier le tir. Il n'est pas facile de s'échapper de la toile de tes choix passés. Plus tu en as conscience, plus elle te fait prisonnière, on ne s'en sort plus. Prise au piège comme les poissons sur cet étal l'ont été d'un filet de pêche. Il était trop tard quand je me suis rendue compte de la situation dans laquelle je m'étais mise. Depuis toutes ces années. Et ça m'a fait tant de mal de m'en rendre compte. Tu ne peux même pas imaginer.

 

 

Vincent à la façon de Barjavel

Alors ma colère s'est mise à couler dans mes pensées. Le philosophe français Endhoven a écrit en 2020, qu'une colère peut n'être pas sincère, telle une personne qui a une blessure cicatrisée, s'exprime comme si sa plaie était ouverte. D'autres philosophes, sociologues, historiens, ont étudié ce phénomène. Je pourrai tourner ma colère contre moi-même, mais comme le disait Coluche, cela demande beaucoup de haine, se tuer et je m'aime trop pour cela. Et puis le suicide est aussi un phénomène social, comme l'a décrit le sociologue Emile Durkheim, et j'aimerai tant échapper à la société, disparaître du monde, fuir la pression du monde, telles les personnes étudiées par le sociologue David Lebreton, se couper des ressorts du passé.

Vincent & Fante

Je me suis rassise, en marmonnant des injures, alors que les gens autours, hystériques, roulaient de grands yeux. Le voleur, avait disparu dans la foule. J'ai pensé à Spinoza, à Federer, et à Pelè et à des gens du même genre. Maudit soit Tisseron, maudit soit Federer. Que tout ce monde, soit passé, à la moulinette. J'aurai dû buter cette racaille. Mes mains ont fait défaut. Maudite soit ma famille, ainsi que moi-même. J'aurai dû le tuer, ce kakou. Sois guerrière ! Oh Ricard, fous le camp ! pour l'amour du Boudha, disparais. Le mal et le bien ne valent rien face à la dimension de la détresse, y'a que la force qui force le respect, Zidane a raison.

Josiane à la façon d’André Gide

La pièce était non seulement sombre mais elle était petite et peu meublée, une vraie cellule monacale, pas du tout le palace qu'il lui avait décrit là-haut dans son village des Alpes, le soir du bal des pompiers. Elle avait mis sa plus jolie robe, la bleue avec de la broderie anglaise et tous les garçons la regardaient. C'était tous des paysans pauvres sauf Geoffroy qui avait des terres et qui était le plus beau parti du pays. Geoffroy la regardait en douce, elle lui plaisait beaucoup, la Gertrude, mais elle n'avait d'yeux que pour ce garçon de la ville avec son costume, ses cheveux gominés et son allure conquérante. Et voilà maintenant qu'elle est à Marseille cette chambre exiguë et qu'elle pensait à son lit bateau dans sa chambre au village. Alors qu'elle était assise sur son lit de camp inconfortable où elle avait peur de se coucher.

Elle se mettait à fenêtre, elle avait découvert un spectacle étrange, une foule hétéroclite se pressait sur un trottoir gras jonché d'ordures de toutes sortes. La maison était soutenue par de grands madriers de pierre qui l'empêchaient de s'affaisser un peu plus. Du linge séchait aux fenêtres de tous les étages et claquaient sous le vent. Les enfants morveux courraient de toutes parts en quémandant de la nourriture, un sucre, un bout de pain, n'importe quoi pour soulager la faim qui les tenaillait. Les filles étaient assises sur le devant des ports, vêtues de combinaisons de tissu brillant, de soie ou de nylon. Elle ne savait pas. Des plaisanteries et des rires sonores, des cris fusaient de tous côtés. Des odeurs de sueur et de nourriture rance, de parfums bon marché flottaient dans l'air et puis elle les vit, des hommes dont on lui avait parlé, des marins italiens et soldats américains aux cheveux en brosse qui entendaient qu'on les fasse entrer pour faire leur choix. Ils étaient en troupeaux, toutes nationalités confondues, animés par le seul désir de lover une femme à leur goût. C'est pour ça qu'ils étaient là, et pour rien d'autre. Gertrude le savait, elle le voyait et pourtant elle n'arrivait pas à y croire vraiment. Dans sa tête, elle entendait l'angélus de son village et elle se mit à pleurer.

Laurence & Gide

Les insultes fusent à travers les voiles tirées sur la misère environnante. Des insultes sales, cassantes, humiliantes, celles qui feraient trembler n'importe quel ogre aussi solide soit-il. Mais ces insultes ravinent les trottoirs sans jamais percer le cœur de ces va-nu-pieds, qui n’ont plus d’ego dans les triples, mais la survie dans les veines. Des disputes qui feraient grincer les dents jusqu’à briser les plus fragiles, des baffes dans la gueule qui termineraient le travail de l'arracheur de dents et le bruit des ricochets sur le sol comme un jeu d'osselets qu'on ferait tomber par terre. Les cris de la femme à qui l’on tire les cheveux, les braillements de l'enfant qui montent dans les aigues, d'une intensité à réduire en miettes des services complets en cristal, qui de toutes manières, n'existent pas dans ce trou à rats. Comment s'est-elle retrouvée là dans cette chambre sordide, d'où surviennent les affres du quartier. Un scooter volé, une ribambelle de pas qui détalent à toute allure, un déluré qui menace de s'immoler si sa douce et tendre de revient pas. Les casseroles qui sautent sous la violence du feu de bois à même le sol dans une pétarade de tambours battants. C’est alors qu’une mélodie douce et lointaine qui survole le brouhaha malfaisant, lui parvient aux oreilles. Celle d'une voix féminine ou celle d'un jeune pré-pubère qui entonne un hymne de douceur pour percer à jour les cœurs fermés, les âmes damnées.


mardi 7 mars 2023

Les Trois chats de Sylviane

Elle court. Les jambes désarticulées, les bras chargés de sacs, un chat la suit d'un mouvement rapide puis lent, sautillant puis alourdi. La femme se retourne brusquement, elle envoie un coup de pied en l'air, son visage fermé, ses joues rouges, le souffle court, elle court percutant un passant. Elle ne s’arrête pas, son sac s'accroche à un poteau, elle tire dessus, une anse se casse, elle rattrape juste à temps le sac et son contenu. Elle met le sac en boule contre son ventre, et saute dans un bus. Les portes se referment de justesse derrière elle.

Sur son lit, les provisions au sol, la femme est étalée de tout son long, cheveux épars, yeux fermés. Trois chats ronronnent sur son ventre, qui se lève et s'abaisse dans un rythme régulier.

Les chats de Sylviane

Elle court toute la journée. Ses jambes s’activent le long des rues, grimpent dans le bus quand il arrive à l'arrêt, descendent quand c'est le terminus. Ses mains touchent, soupèsent, manipulent des pièces de son sac.

Quand c'est le soir, son corps las s'abandonne, les jambes douloureuses, les mains besogneuses aux 3 coussins pelucheux du divan.

L'écrivain de Vincent

Il est là debout sur le trottoir sa tête pivote à gauche à droite, puis le pas décidé, il marche dans la direction du Vieux-Port, un rictus se dessine sur le visage entre la grimace et le sourire. Un banc. L'homme s’assoit. Ses yeux se froncent. Il fouille dans ses poches et sort un papier et un crayon. Le voilà qui griffonne. Il relève la tête soudainement, le regard ouvert scrute les pieds du banc au sol, remuant du popotin, l'oreille à l'affût. Il pince ses lèvres et reprend le stylo. Arrêt sur image, ses poumons se gonflent et se dégonflent. Ses narines se dilatent, son visage s'assouplit, les rides d'expression s’estompent, c'est presque un visage de musée Grévin. Lisse et brillant. Une moto fait vrombir son moteur et détale à toute allure devant l'écrivain sur son banc qui s’anime, adieu visage de cire, les traits fronce. La main se crispe puis écrit. Des ridules sur le front, des plis aux commissures des lèvres, des lignes qui entourent l'œil.  Sa page sur son visage. Pouët Pouët ! Le klaxon le fait sursauter et toutes ses lignes avec. Le corps se lève, les bras ballants ; les épaules tombantes, la nuque retient la tête qui penche vers l'avant, l'homme reprend sa marche.

Quelle heure est-il?

Quelle heure est-il ? Mes yeux cherchent un repère temporel quel qui soit. La lumière du jour, le vent dans les arbres, les oreilles écoutent les bruits du remue-ménage chez le voisin. Une chaise qui glisse, un pet sonore à côté, une descente vertigineuse du liquide du haut des cuisses dans la cuvette. Mon ventre joue de la plomberie aussi et je prends conscience de ma vessie qui pèse sur le périnée. Une présence attire mon attention, le corps ressent quand un autre se trouve à ses côtés. Mes bras invitent le mignon à se blottir contre eux. Battements de cœur et chaleur inondent mon plexus solaire et c'est tout l'avant du corps, qui se réchauffe au contact du petit corps lové. Fraîcheur soudaine, j'ai les pieds froids et la tête encore ensommeillée. Du douillet vient envelopper mes pieds froids. Le corps se met en mouvement, ouvrir les écoutilles et se vider bonnement. La tête émerge quand la chasse d'eau évacue. Des pas sur le carrelage froid, des claquements dans mes oreilles, le bruissement d'une flamme. Un engourdissement de la pièce me sort de ma léthargie. La chaleur de l'eau sourde dans mon œsophage. Je n'ai pas la tête à me disputer. Oui je sais que j'ai oublié de ranger ma gamelle hier. Oui, je sais que ça peut attirer les fourmis et après tout, laissons-les vivre ces fourmis d'Argentine. Savonner dehors dedans sur les dents, accélération de tout mon être dans un tourbillon de toile et d'étoffes à nue puis vêtue. Non, je ne suis pas prête. Oui, je m'occupe de l'habiller. Tiens le clavier, si tu veux jouer ! Oh le rabat-joie. Oui, il joue avant d’aller à l'école, et alors ? Mon ventre tiraille pourquoi se presser ? pourquoi accélérer ? Chaque chose en son temps.

Le vent frais sur mon visage ventile mes idées noires, place à la bonne humeur. Ma bouche siffle, mes muscles se contractent à chaque mouvement. Je me sens vivre, joyeuse, efficace, la tête sur les épaules, ma vie dans mon dos.

 

Il miaule

Il miaule. Son miaulement est rauque et déchirant.  Elle se demande d'abord, si c'est la fin du monde, avant de comprendre qu'il s'agit bien du chat. Elle entend les protestations de la locataire du dessous qui n'aime pas les chats et ne supporte pas, ces feulements matinaux. Elle l’a pourtant gavé hier soir. Pourquoi s'obstine-t-il à hurler à la mort ? Et elle comprend maintenant qu'il gratte le bas de la porte avec fureur. Pourquoi avoir sauvé cet animal d'une mort certaine, elle aurait dû le laisser sur le trottoir. Au moins, elle dormirait le matin. En plus, elle se souvient qu'elle a oublié d'acheter des croquettes, il n'y a rien à manger.

Elle fait du café sans conviction, le chat dans les jambes. Elle manque de s'étaler, se rattrape à une chaise. Elle goûte le café, il est infect mais elle n'a pas à le jeter dans l'évier car le chat vient de sauter à pattes jointes dans sa tasse en aspergeant l'ensemble du plan de travail. Elle renonce au café, se dit qu'elle le boira dans un bar, tandis qu'elle progresse péniblement dans le couloir, enroulé à ses chevilles. Elle voit l'écran de son portable qui s'allume mais ne peux répondre. Elle se dit qu’une nouvelle journée vient de commencer. 

Les bruits de Josiane

Le petit matin s'immisce dans les fentes du rideau, laisse entrevoir un pied qui dépasse du lit. On entend au loin des bruits de machines. La femme bouge sous la couette, se retourne du côté droit face au mur et se bouche les oreilles. Un temps. Le bruit de fond continue. Une main surgit du lit en direction de la table basse, appuie sur un appareil qui émet alors une musique dramatique. La jambe droite puis la gauche émergent, elles aussi de la lourde couverture. Les pieds nus touchent le sol, le bus se redresse lentement, le corps se déploie vers le ciel dans toute sa hauteur, puis commence à avancer pas à pas, en direction de la porte.

Arrivée dans la cuisine, la femme ouvre un placard d'où elle sort une boîte de café, vide le contenu dans une vieille cafetière quelle revisse et met sur le feu.

Debout, à côté de la gazinière, elle attend. Elle bâille, s’étire, regarde par la fenêtre, fredonne l'air qui continue à s'échapper de la chambre. Elle soulève le couvercle de la cafetière - pas encore.

Adossée au plan de travail, elle resserre sa robe de chambre sur sa poitrine, baille une nouvelle fois, range la boîte dans le placard. De la fumée sort en continu de la cafetière qui émet un bruit strident. A peine a-t-elle coupé le gaz qu’une voix s’élève du fond de l'appartement réclamant sa part de breuvage matinal.

Elle apparaît à la porte de son immeuble, les yeux cernés mais la démarche rapide et les gestes vifs. Déterminée, elle avance sur le boulevard et monte dans un taxi. Téléphone à l'oreille, elle gesticule tout en parlant et c'est tout son corps qui semble parler. Quelques heures plus tard, elle revient chargée de sacs remplis et s'engouffre dans la boulangerie. Elle en ressort au pas de course pour venir s'asseoir à quelques tables de la mienne, où une jeune dame l'attend. Elles passent presque une heure à échanger, l'air grave, le nez plongé dans des papiers. Puis elle prend congés, s’éloigne du bar et quelques secondes après je vois la fenêtre de son salon s'éclairer.

Du bruit de bon matin

Avant même de lui faire ouvrir l'œil, je sais qu'il est mercredi parce que le matériel qui aspire les feuilles du parc a démarré. Je me mets en position fœtal avec les doigts dans les oreilles en pure perte. Alors, je lui demande de mettre de la musique, fort si possible, pendant que l'index s'active sur la bande FM, les jambes sortent du lit repoussant la couverture à billes de verre. Les pieds avancent prudemment vers la cuisine où les mains s'activent autour de la cafetière. Comme ce n'est pas un agent électronique, plutôt une débelloire 19e siècle, ça prend du temps. La TSF rugit « La Chevauchée des Walkyries » et de l'adrénaline se déverse dans les artères, les veines et tout l'appareil veineux, vibrant comme un juke-box. Le cœur s'emballe, se tachycarde et une grande chaleur monte du bout des orteils jusqu'au sommet du crâne et au-delà l'odeur exquise du café frais répand ses volutes sur le plan travail, la cuisine et au-delà. Une voix ensommeillée s’élève du fond de l'appartement, « Je peux avoir une tasse s'il te plaît ? » Je suis prêt à recevoir le choc de l’eau glacée, puisque le chauffe-eau vient de rendre l'âme. 

Aka le réveil

Passé le réveil après une nuit trop courte, l'énergie monte rapidement. Elle prend d'abord ses quartiers dans la boîte crânienne, la caboche, la comprenette, la matière grise. Sur l'autoroute des pensées, les idées filent à 180 à l'heure. Le corps, lui, atteint difficilement les 50 km/heure. Le moteur n'a pas encore chauffé, les yeux sont encore collés, la bouche pâteuse de la nuit, passage à la station essence – Aka la boulangerie - pour faire le plein d’essence – Aka les calories. Travail oblige de l'ensemble du corps se met en action, en bonne entente avec le maître des opérations – Aka le cerveau susmentionné. Le flux des pensées/ruminations/ projections se tait pour laisser place à des mouvements coordonnés à visée d’efficacité. Ça s'agite bien à cette heure-ci, corps et mental ont passé la 3ème - les membres s’actionnent à toute vitesse. Agitation. Difficulté à retrouver le calme, une fois la tempête passée. Ah tiens, je perçois une gêne dans la poitrine.  Poumons, cœur ou simple muscle ou facies endoloris ? En tout cas, on dirait que plus j'y pense plus la gêne se fait grande. Elle vient parasiter mon cerveau qui s'emballe :  hypocondrie ! Appel au repos ? contrôle technique ? Eclipse géographique du corps : n'existe plus que cette zone douloureuse, le reste du corps s’efface de la carte de mes sensations. A part peut-être les pieds froids qui ne me laissent aucun répit en hiver. C'est à peine si je sens mon ventre et son dur labeur après un repas lourd et bien trop rapide. Dernier coup de boost pour ne pas rater le rendez-vous de 13h30 avant de pouvoir laisser ce corps de côté pendant quelques heures. 

Aristide rêve d'une armoire

« Je m’appelle Aristide et je suis une autruche recherchant son graal en vue d’une évolution personnelle vers un meilleur bien-être. Il faut dire que je souffre d’une profonde apathie issue de grandes lourdeurs familiales… C’est dans un rêve très récent que j’ai découvert de façon inexplicable qu’une grande armoire solide serait la solution pour me sortir de cet état. J’ai donc très vite décidé de partir à la recherche de ce meuble de bonne hauteur qui pourrait être mon paradis. »

Et voilà notre autruche en route. Chemin faisant, elle se trouve nez à nez avec un chat qui se fige en la voyant et s’écrie :

« Madame l’autruche, je m’appelle Raminagrobis et je recherche ma petite fille Chamichette, qui a quitté ce matin le domicile familial et qui est toute noire comme moi. Pouvez-vous m’aider à la retrouver à l’aide de vos ailes qui doivent vous permettre de prendre un peu de hauteur ? »

« Désolée Monsieur Raminagrobis mais mes ailes ne me permettent pas un envol suffisant pour satisfaire votre demande. Ceci dit, je vous conseille de rameuter tous vos amis les chats pour organiser une battue dans la région. Vous devriez ainsi arriver à la retrouver. »

« Merci Madame l’autruche, je n’y avais pas pensé, aveuglé que je suis par le désespoir, je m’en vais suivre votre conseil. »

Forte de cette rencontre et de sa réaction positive pour Raminagrobis, son estime de soi remonte légèrement et la voilà esquissant un petit sourire intérieur. Un peu plus loin, au bord d’une rivière qu’elle hésite à traverser, elle rencontre un alligator qui se fend d’un grand sourire :

« Madame l’autruche, que me vaut votre passage sur mon territoire ? »

« Je suis à la recherche d’une grande armoire solide qui devrait devenir mon futur havre de paix. En avez-vous dans la région ? »

« J’ai bien quelques vieux meubles flottants parfois sur la rivière, mais pas de grande armoire à ma connaissance. Par contre, sur l’autre rive vous trouverez une menuiserie faisant des meubles sur mesure, mais à une bonne journée de marche après la traversée. »

Une fois le passage du fleuve effectué sur le dos que l’animal lui offrit gentiment, puis la direction à prendre indiquée, voilà notre autruche dans la traversée d’une région désertique, ce qui la fait à nouveau plonger dans l’apathie. Après quelques heures de marche, la voici sur le passage d’un renard qui semble lui aussi un peu perdu.

« Monsieur Renard, je suis Aristide et je recherche une menuiserie qui doit être dans cette direction.»

« Et moi, je recherche un corbeau qui m’a refilé un fromage qui m’a mis dans un état de grand trouble digestif et je voudrais lui montrer de quel bois je me chauffe. Mais, je suis un peu perdu dans ce désert. »

« Suis-moi » répond l’autruche, « le coin où se trouve la menuiserie doit être dans un endroit boisé au bout de ce désert, je parie que tu y trouveras ton corbeau. »

Et les voilà partis bras dessus bras dessous à la recherche de leur quête respective. Plus tard, le bout de cette région aride semble approcher avec en vue ce qui ressemble au loin à l’orée d’un bois. Ils voient alors un chien aboyant et jappant qui creuse un trou pour y cacher un petit cadavre d’animal.

« Que fais-tu là ? » s’écrient en chœur l’autruche et le renard.

« Je viens enterrer le corbeau qui a causé du tort à mon maître en détériorant une partie de ses meubles ».

« Ah bon, ton maître ne serait-il pas le menuisier que je recherche ? » demande l’autruche.

« Et montre-moi de plus près ce corbeau. » ajoute le renard en s’approchant.

« Mais, c’est le gredin que je recherche qui m’a causé bien du mal. Je vois que tu as réalisé ma vengeance et t’en remercie chaleureusement. »

« Je souhaite justement aller trouver ton maître le menuisier, pour m’équiper d’une grande armoire à ma taille » ajoute l’autruche.

« Suivez-moi » leur dit le chien. Et les voilà partis tous les trois en direction du bois et très vite, ils arrivent aux abords de la menuiserie. En s’approchant, ils entendent tout à coup une explosion qui provoque un incendie anéantissant en quelques minutes le bâtiment et tout ce qui s’y trouve. Seul le menuisier a pu se sauver et il accourt auprès des trois animaux qui semblent être devenus les meilleurs amis du monde. L’homme est désespéré et son chien se précipite contre lui pour le consoler. L’autruche qui pensait trouver son armoire, nouvel éden rêvé, est, elle aussi, abattue.

Le renard propose alors que tout ce petit monde s’unisse pour regrouper leurs forces et bâtir un havre de paix pour les jours futurs. Et les voici partant avec l’idée d’un lieu pour y construire un nouvel avenir. L’autruche qui se sentait seule et apathique, retrouve de la joie en vue d’une nouvelle vie partagée. Le renard et le chien semblent s’entendre à merveille. Et le menuisier va enfin pouvoir passer à autre chose après une vie qui malgré de belles réalisations, l’avait condamné à respirer de la sciure …

Tante ourse et ses petits

Dans son antre, l'ourse a du mal à se réveiller mais elle est stimulée par ses deux oursons qui la mordillent, lui grimpent dessus. Bref l'agacent en réclamant un sapin de Noël ! Mais c'est quoi ça ? d'où ça sort? Elle essaie d'ouvrir un œil puis l'autre mais le premier se referme déjà, elle a une irrépressible envie de se laisser aller à une petite (ou grande) heure de sommeil. Et ces petits qui n'arrêtent pas. Les autres années, elle n'en avait qu'un et c'était suffisant. Oh oui ! maintenant la voilà avec deux. 

Une odeur inhabituelle chatouille ses narines qui frémissent. Se détachant sur l'ouverture de la grotte voilà un chacal, oreilles dressées, muscles tendus, regard perçant. « Un sapin de Noël ! » scandent les oursons en chœur. « Un sapin de Noël... » 

-        Tu sais ce que c'est ? Bougonne l'ourse au chacal après l'avoir salué.

-     Ben oui, répond le chacal, c'est le moment, tout le monde en achète un.

-        -       S'il te plaît, peux-tu m'aider ? Ces petits me font perdre la tête, ils me fatiguent !

-        Je t'en aurais bien acheté un, où j'ai pris le mien ce matin, mais je suis pressé. Pas une minute à t'accorder, je regrette. Par contre, j'ai croisé pas loin d'ici Maître Jaguar. Il est serviable. Pourquoi ne pas le solliciter ?

La grosse ourse, à grand peine, se lève, pataude, lente et à vrai dire sans grande conviction. Les petits s'accrochent à elle. Dehors, en effet, elle aperçoit maître Jaguar cheminant sérieux. Elle hèle et les petits l'aidant par leurs piaillements.

-        Tu vois bien que je suis en chemin Tante ourse. Je quitte le territoire, je m'en vais. Je te fais mes adieux. Que l'architecte de l'univers te protège, toi et ta descendance. Adieu !

Au-dessus du faîte des arbres, Tante ourse aperçoit la tête de Miss girafe. Elle s'en approche, lui exposant son problème. Mais Miss Girafe est préoccupée, elle cherche un pyjama rose pour son prochain défilé de mode, elle n'entend rien du propos de tante ourse. Et lui retourne son souci : - où pourrait-elle trouver un pyjama rose ? Au diable pense tante ourse, elle n'a qu'à demander à Madame l'autruche, je m'en fous de son pyjama rose. On voit bien qu'elle n'a pas de petits lui courant après. 

 Alors tante ourse prend la route suivie par les deux coquins et elle marche pesante un œil fermé l'un après l'autre. Elle marche longtemps en vérité jusqu'à la berge de l'océan, elle souffle et peste contre la fratrie bondissante près d'elle. Soudain une énorme cavité émerge de la mer C'est la gueule immense de la baleine qui habite ces contrées. Elles ne se connaissent pas et visiblement le monstre n'a pas envie de faire connaissance, il a l'air en pleine action et ignore tante ourse et sa progéniture, elle est en train de mettre au monde son baleineau et cela paraît assez difficile. Elle expulse de longs jets d'eau puissants qui éclaboussent tante ourse et les petits. La mer autour d'elle est d’une grande agitation et fait des remous violents. Là, sous l'eau, le miracle de la vie est en train de se produire encore et toujours. Tout ce remue-ménage modifie la consistance du sol et voilà que la Terre se craquelle de toute part, tante ourse rassemble ses petits. 

Oh ! Comme elle a bien fait car le bout de terre sur lequel ils se trouvent se détache comme une petite île et les voilà voguant sur les eaux en furie, s'éloignant de plus en plus. La promenade se révéla assez longue pour enfin s'échouer sur un rivage inconnu boisé, où les eaux calmes et limpides les bercent doucement.

-        Maman maman, crient les petits émerveillés les sapins ! 

Plein de sapins de Noël s'offrent à eux.

-        -            Celui-ci ! crie un petit. 

-        -            Non l'autre, répond l'autre.

I       Ils sont tous si beaux ! Finalement, ils s'installent au pied du plus grand, satisfaits et heureux, c'est enfin Noël. 

 

Retrouver Maman!

Retrouver Maman ! Elisa garde collé à son cœur le registre d'adoption que lui ont remis les services sociaux. Elle est en âge de savoir. Découvrir enfin qui est sa mère. Connaître son histoire. D'où elle vient, comment elle s'est retrouvée à naître sous X à l'Hôpital de Villejuif. 

Rue Bénédit, son cœur se met à battre, elle est si près du but, si près de ses origines. D'où lui viennent ses tâches de rousseurs, son nez en trompette, son sale caractère quand elle se lève le matin.

317 ouf!  un coup au cœur. Elle est à l'autre bout de la rue Bénédit. Jolie rue résidentielle avec des façades beiges, des pots de fleurs sur les balcons des fenêtres. Il faut descendre toute la rue. Elle marche d'un bon pas, le cœur palpitant, elle saute tous les trois pas pour se donner une impulsion. Elle a une folle envie de courir.

305, 283, 252 c'est trop pour elle, elle se met à courir, les numéros défilent comme sur une grille de loto.205, 183, 147. Elle court, elle court, une petite coupelle laissée négligemment sur le trottoir. Une voisine qui doit nourrir les chats de gouttière. Elisa trébuche, son dossier vole par terre, toutes les feuilles se répandent sur la route. Elle s'est égratignée le genou et les paumes des mains, elle se relève, frappe ses mains pour retirer le gravier incrusté, son collant est filé. Que va penser maman. Elle se dépêche de ramasser les feuilles. Une voiture roule dessus, laissant des marques de pneus sur la page où sa mère a écrit "quand tu seras en âge de lire ce papier, sache que je t'attendrai chez moi tous les jours à 13h30 à mon domicile au 17B rue Bénédit. Je t'expliquerai tout. J'espère que tu me pardonneras’’. Un élan d'espoir ! Bien sûr, tu es pardonnée maman, toi qui m'attends. Elisa parvient à tout récupérer, elle se remet à courir. 121, 97, 72, sa maman est certainement en train de siroter un café devant le journal de 13h. Comment va-t-elle réagir en la voyant, est-ce qu’elle ne seras pas déçu de voir qu'elle est un peu en surpoids ? Elisa court, claudiquant légèrement. J'expliquerai à maman que je suis tombée dans ma hâte. 31, 25, 21. Elisa ralentit. Essoufflée, mais pleine d'espoir, elle cherche le numéro 17. Son ventre se serre, sa gorge se noue. L'émotion la submerge. La peur et le doute puis l'envie. La vérité. Elle vient chercher la vérité. 18, 18B. Elle arrive au 17. Enfin, elle regarde sur la sonnette. Elle repasse en revue les noms encore et encore, il n'y a pas le nom de sa mère. Elisa commence à paniquer, tout son monde est sur le point de s'écrouler. Elle vérifie encore une fois, balie les noms sur l'interphone. Regarde son papier avec les traces de pneus. 17B. C’est l’immeuble d’après. Soulagée, elle avance le cœur battant mais à côté se trouve une palissade. Qu'est-ce que ça veut dire ces travaux ? Elisa s’approche et regarde dans l'interstice du panneau de chantier. Son œil s’écarquille, ses mains s’ouvrent et lâchent son dossier sur le sol. Elle s’écroule sur le trottoir, les bras en croix. Vue du ciel, on ne voit qu'une jeune fille au sol, tel le Christ, séparée d'une palissade d’un chantier de démolition. Les feuilles s'envolent et dansent sous les pneus des voitures qui passent.