vendredi 29 juin 2018

PIC NIQUE


Le juge jauge d'un silence. Dans son bureau austère, son silence glacial, s'adresse à un interpellé, qui répond d'un mutisme obstiné. Une avocate est là, mais si peu présente qu'elle est muette, comme une fluette chaise, malhabile où personne ne peut s’asseoir, tant une impression de fragilité monte d'elle. L'interpellé, comme le juge, savent balancer des phrases, coupantes et fines comme des idées tueuses. Quand chacun parle, ça fuse comme à Paname, dans un lupanar où l'orgie le dispute au bruit. Chacun dans sa catégorie, le juge en manière de légalités assénées, et de la force qui doit rester au droit. L'interpellé, voyou aguerri qui conteste constamment avec un aplomb plombant, et une moquerie certaine, la bienséance, et le rituel établi des accusateurs, justiciers implacables et froids. La narquoise, dépréciation de ce viveur des rues, encore jeune, glisse avec débordement, sur l'assise certaine de l'homme un peu vieux, doté d'une maturité d'expériences et d'une tranquillité méritoire, ce juge tenace. L'avocate, elle, au milieu de cette joute, ou personne ne cède d'un pouce, tâche de douces paroles, d'apaiser la vivacité de son client, en veine d'inspiration quasi-outrancière. Tout cela dure, dans l'ambiance sinon feutrée de ce lieu petit.
L'avocate ne cesse de fondre, tant, son loquace client et la diatribe du juge, passent au-dessus d'elle, ou en bas de tout ça, elle fait figure d'un petit soldat égaré au fond d'une tranchée.
C'est alors qu'au détour des échanges, celui mis en cause, parle d'une affaire qui met mal à l'aise le représentant d'une institution, réputée trancher aveuglement. L'avocate hors circuit, ne remarque pas cela.
Le convocateur, du soupçonné coupable, vacille un peu, grince dans son fonctionnement, un malaise perceptible lui fait perdre de son assurance. Le voyou, habile en rajoute et domine, maintenant, vertement la situation. Le juge s'en sort, en mettant fin à la séance. Une fois le prévenu renvoyé en maison d'arrêt, le juge seul respire un peu mieux, tout songeur, cependant de l'affaire évoquée, par le délinquant et dont lui, juge avait dû se prononcer dans le passé et un embarras.
Voici les vacances, débarrassé pour un temps de sa charge, le juge, loin des soucis et de la ville, dans un monde forestier, solitaire faisant de longues marches en zone, où les arbres abondent en masse forte, où l'homme vient peu. Dedans, règne une ombre et du violet, dedans, un souffle étrange caresse l'existence. Le bon marcheur, continue sans faille, à déployer sa vivacité dans cette nature vivifiée. Peu à peu glissant dans ce pays, il se sent devenir ombre et squelette. Un frais chemin l'absorbe, infiniment tournant, il coupe et recoupe les arbres élevés et tourne autour d'eux comme une pratique magique. La volupté du cercle, organise quelque chose, qui dépasse l'entendement. Il respire la tourbe, ocre, de cette terre glaise. Il flotte comme une chose, emportée par le courant de la vie. Il sent la courbe et le gluant des sensations, dans ses souliers d'arpenteur. La forêt n'est plus qu'un noir puissant, tant l'ombre est fantasque, nuit végétale sans égale. Dans l'endurance et la panoplie des ressentis, prenant la place dans la longévité du monde. Il se croit dans une mangrove, d'une eau définitivement trouble, jaunâtre et un peu saumâtre, baignée d'élégants serpents et de poissons bleus. Le son est percutant, comme un bon tambour des brousses inventées, peut-être un sort de la sève tenace, qui élance les arbres vers le ciel invisible, dans l'antre de la forêt masque et haute. Ce son est une hallucination de réactions.
Le voilà de nouveau, dans l'inconfort de son bureau minable, placidement acide, d'insignifiance au regard de bien des choses. Devant lui, le fourbe au visage taillé à la serpe et faisant des verbes saillants, et à côté, petite et toujours douce, d'intention ou de lassitude, l'avocate fait sa part de faiblesse. Le juge, se souvient de l'affaire du bûcheron d’Angoulême, retrouvé noyé dans une piscine olympique, tandis que le suspect certain, débite toute une série de mots débilitants. D'un coup, d'un mot, le juge voit soudain, l'interpellé comme un tigre blanc, aux yeux jaunes striés de noir. Le juge sans effroi, pour reprendre ses esprits, observe un peu l'avocate toujours douce, paisible et inoffensive. Le juge, dans l'instant, se dit qu'un chamane l'a magicené de noir. Il pense alors, à un pic-nique d'enfance, où son admiration pour une fourmi égarée, lui avait donné le sentiment d'être une fourmi. A peine cette pensée émise, qu'il devient fourmi géante, dont le regard, décidé égare d'épouvantes, le tigre dominé par cette vision terrible. Trois humains, dans un semi-brouillards sont là dans sa conscience élastique, de tant de phénomènes. Une odeur d'arbre envahi le juge et un vent frais lui caresse l'esprit. Alors bien de retour dans le terre à terre, il entend l'interpellé reconnaître les faits reprochés, qui vont le condamner à vivre, un peu comme une fourmi perdue dans les couloirs d'une fourmilière qu'est une prison d'Etat, tandis que l'avocate médusée se pose enfin des questions sur son rôle, et cela intérieurement, bien que son hébétude, ne cache rien de cela.

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