samedi 23 novembre 2019

Changement d'itinéraire


Se frottant les mains, multipliant les couches de vêtements, une serviette de toilette autour du cou, trois paires de chaussettes dans des sandales Birkenfield. La couperose aux joues, les engelures aux doigts, la lèvre qui craquelle sous le froid. C’est dans le parc La Fontaine de Montréal, qu’il s’est réfugié en attendant. Parce qu’il y a des arbres. Parce qu’il peut soulager sa chaude pisse. Parce qu’il maudit les lieux publics, où en plus de son MST, il peut attraper d’autres germes. Il s’était dit qu’un jardin, ça respire, c’est chlorophylle et senteurs fleuris, c’est promeneurs fleur bleue et pucelles en herbe. Sauf que son look mille-feuilles risque d’entamer son sex-appeal, mais il a bien trop froid pour faire du chiquet. D’ailleurs, il enfouit son cou dans ses épaules et ses mains dans ses poches.
Il a l’air surpris. Il brasse l’intérieure de ses poches. L’une d’elles est trouée. Il fouille au fond de sa doublure de manteau. C’est bien ce qu’il lui semblait, il y a un papier qui lui pique les fesses. Un carton de rouleaux de papier toilette et un mot écrit dessus. Il fronce les sourcils à sa lecture.

Nous nous sommes croisés dans le pire endroit possible pour une rencontre amoureuse, nous nous sommes croisés dans l’endroit le moins propice à y rester, nous nous sommes croisés là où en général, on garde les yeux baissés : les toilettes de l’aéroport. J’allais à Turin et toi peut-être à Séoul, malgré cela, j’espère que tu voudras revoir la femme en rose de l’aéroport.

Il a des réminiscences, des flashs, tailleur rose, fesse blanche, sein moelleux, des cheveux, de très longs cheveux. C’est probablement cette hôtesse de l’air qui avait substitué son vol pour Séoul avec celui de Montréal. Ah ! La bougresse ! Il est furieux et jette le rouleau par terre. Le vent s’engouffre dans ses couches de vêtements. Une once de culpabilité le saisit. L’image de sa mère, les mains sur les hanches et le regard sévère, le rappelle à l’ordre. Il se baisse pour ramasser ce papier à l’état de détritus, quand une nappe de brouillard se forme à ses pieds. Elle s’épaissit et recouvre maintenant tout son corps. Pays abominable, où les éléments ne pardonnent pas ses péchés lubriques et anti-écolo. Il disparaît sous l’épaisse pois humide. Des gouttes de condensation perlent sur ses sourcils, les yeux noyés, les cheveux mouillés, la serviette et les chaussettes trempées. Aveugle, il avance à tâtons pour trouver le rebord de La Fontaine et s’asseoir. Seul le bruit du clapotement régulier de l’eau le guide. Il tâte un corps dur et rugueux, l’écorce d’un chêne qu’il contourne, il tâte un corps mou et spongieux, statue recouverte de mousse. Il s’y adosse, le temps de remettre ses chaussettes, qui s’étaient déchaussées. Il reprend son itinéraire à pas de fourmis, il tâte un corps souple et ferme. Il n’essaie pas de le contourner au contraire, il cherche à définir les contours, une liquette légère, sous un manteau en cuir, des formes généreuses, des petits cris de plaisir, qu’il a déjà entendu quelque part. Il insiste sur la croupe rebondie, les gémissements se font plus intenses et c’est le flash. L’image de la femme en rose qu’il s’était entichée à l’aéroport !
-          Toi, la folle dingue ?
-          Petit loup, mon animal, mon velu…
-          Assez !
-          Mon chinchilla, tu es à moi, je fais ce que je veux.
-          Arrête tes caresses, je te dis.
-          Trop tard, tu as voulu de la femme, de la chair, du ventru et bien, tu as frappé là où il fallait.
-          Non, c’est toi qui m’as allumé ! J’étais très bien sur mon fauteuil massant de l’aéroport. Je t’ai vu arriver comme une hôtesse de l’air, je ne pensais pas tomber sur une folle.
-          Bébé, tu n’as pas dit non dans les toilettes. Tu as déjà vu une hôtesse de l’air amener ses voyageurs aux toilettes ?
-          Non, mais la chance peut sourire parfois…
-          Je suis ta chance. Je t’ai pris sous mon aile, Fabien.
-          Tu connais mon nom ? 
-          Bien sûr, je t’ai pisté, je t’observe depuis longtemps, très longtemps. Toi, qui n’a jamais eu un regard pour moi… Alors le coup de l’hôtesse de l’air, l’uniforme, je savais que là tu ne résisterais pas. Tu sais qui je suis ? Je suis la jeune étudiante docile, invisible, tapie derrière ses lunettes à double foyers. Je t’ai aimé, adulé mais pas un regard. Tu as tellement batifolé avec tes élèves. Toi, le professeur érudit. Heureusement pour moi, tu n’es pas marié. Trop instable le garçon, à aller voir à gauche à droite. Eh bien, sens bien mes hanches, mes jambes se refermer sur toi. Moi, je vais t’apporter la stabilité, l’amour et l’abondance. Mais arrête donc de gesticuler, regarde la jolie balle que j’ai mis dans ta bouche et la chaîne que j’attache à ton cou, mon bichon. Non, je ne t’ai pas cassé les bras, ils sont juste barrés avec une tige de fer. Oui Fabien, maintenant tu es ma chose.

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