Les nuits sont encore longues, les matins sombres. Les oiseaux timides
bourdonnent à peine en présage du printemps. Je surveille avec délectation
malgré la fraicheur encore persistante, les petites épingles de verdures qui
s’attachent aux rames épineuses de mes rosiers taillés dans leur costume 3
pièces de circonstance. De petites feuilles foncés et brillantes se
revendiquent avec insolence en foliole, attendant que les grappes de roses leur
volent la vedette. Et je t’ai vu petit bouton hésitant à ton devenir, craignant
la précarité d’une naissance trop précoce sous un soleil encore vaporeux. Le
vent qui continue de tousser, le froid de nous enrhumer. Planté sur ton
pédoncule comme un trophée, tes sépales serrés et effilés laissent à peine
deviner ton calice en germe. Nul ne sait la couleur de ta corolle sous ta cape
de soie épaisse, en tenue de camouflage, sauf moi qui te connais de génération
en génération. Tu seras la reine de mon jardin avec tes moultes jupons roses
couvrant pudiquement tes anthères qui trôneront au bout de tes étamines fines
et délicates.
J’aime ce moment où je te regarde grandir, accompagnant le chant des
oiseaux que tu appelles dans ta solitude. Les pucerons tentent déjà quelques
assauts à ta beauté sucrée, violant ton intimité encore chaste et sans
revendication. Mais je serais là pour te protéger, te donner le temps de te
parfaire dans tes velours parfumés. Tes acicules auront beau acérer leur
piquant, ils ne gâcheront pas la douceur de tes propos. Car tu me parles, me
contant le temps qui passe, trahi par ta frondaison envahissante et tapissant
mon mur de pierre. Tu es la première, celle de tous les honneurs, l’ainée
d’une fratrie que tu élèveras pour partie, celle que je ne couperais pas parce
qu’unique à cet instant.
Ce matin, j’ai vu exploser tes sépales, comme de longues écailles fendues
sous la pression, libérant une énorme goutte, dense, opaque et veineuse. Tes
pétales, collées les uns contre les autres renferment encore un secret près
d’éclore. De fins canaux couvrent ta peau, irriguant ma joie par la rosée qui
perle délicatement sur ton épiderme. Je ne te touche pas de peur de te gâcher,
respectant ta virginité dans ce nouveau monde. Tandis que ta maturité fait son
chemin, d’autres petites flèches, s’éperonnent au bout des tiges cherchant à te
ressembler. La verdure s’embrase, t’accueillant dans son lit.
Ma fille est à ton image, les boucles dans les cheveux et le rose aux
joues, elle fera tourner la tête à plus d’un poète et à d’autres plus
audacieux.
Abreuvez-vous des aubades pour murir au soleil sous votre robe de corolle.
Lorsque vos pétales tomberont, mon cœur battra encore sous vos paupières,
laissant une nouvelle saison pour croître et parfumer le monde aux milles
étamines.
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