jeudi 10 juin 2021

Quand elle rit

C’est une personne toute en fragilité. Peu farouche, il faut la protéger pour la conserver prés de soi sinon elle s’enfuit trop loin pour la rattraper. Frêle et capable de force, elle a bien voulu occuper le nid que j'ai mis en place au printemps. Le bois d'à côté lui sert de réserve à ses pensées les plus secrètes auxquelles personnes n’accède mais sa trajectoire pour revenir est toujours la même. Alors je l’attends patiemment de crainte de l’effrayer par trop d’empressement et par timidité aussi. Chargée de doutes dans les premières semaines, elle nourrit aujourd’hui notre potentiel avenir, enfin j’y songe et j’ai envie d’y croire. Je la vois parfois arriver à toute allure sans prévenir ma trop grande proximité, puis dans cette retenue qui la soutient, elle me sourit, d’un sourire nouveau. Si je l’observe avec trop d’empressement, elle rougit et feint une attitude assurée pour s’atteler à une autre tâche loin de moi. Face à face, dans un reflet lumineux ou plus sombre, nous restons à portée du regard à essayer de mieux nous comprendre. Je sais qu'elle est là parce que ses yeux aujourd’hui soulignés de maquillage, s’expriment à travers un regard qui en dit long. Ce regard dans lequel elle se faufile. Et moi, je m’y plonge, par une grimace pour qu’elle parte, par un sourire pour qu’elle vive, m’accompagnant dans sa transformation, de corps et d’esprit. Elle me révèle cette féminité qui s’accomplit doucement mais surement. Quand elle rit, ce n’est point le chuintement du hérisson qui se faufile sous la haie comme autrefois, quand elle avance, ce n’est point la patiente tranquille de l'araignée qui tisse sa toile lorsque nous écoutions les conte du soir; c’est une femme qui résiste au temps qui passe, une enfant qui ne voulait pas grandir. Cette princesse devenant reine est une danseuse joyeuse, qui tisse aujourd’hui le nid avec précision de ses mains agiles. Infatigable, prudente, frêle et obstinée, elle conquit jour après jour mon corps et mon cœur. Elle consacre les moments de pause à l'entretien de ce que la vie lui offre.  Elle lisse et peigne soigneusement, démêlant ses terreurs nocturnes d’enfants au profit d’un désir naissant, un art millénaire. Sa voix tantôt autoritaire, tantôt caressante lui le donne ce ton particulier emplissant l'espace par petites ondes fines, régulières, distinctes. Elle devient femme, je deviens homme. Comme elle, je laisse l’enfance me quitter pour accueillir celui que je deviens à ses yeux. Cet hiver elle s’est nourrie de glaces et de bonbons, ce printemps, sa nourriture se veut plus masculine à la recherche de moi. Ce petit voisin d’à côté ne se ressemble plus d’ailleurs : elle m’aime surement puisqu'elle a élu domicile sur ma terrasse. Maintenant que ses rondeurs ont fait leur apparition, elle favorise un autre accès et le nourrit plus de regards que de rires en éclat que j’entendais encore hier. Pas encore le savoir-faire, plutôt l’intuition. Il faut que les hormones soient gavées de protéines pour pouvoir s'envoler bientôt et surtout apprennent vite à chasser et se nourrir par eux même. Travailleuse, obstinée, attentionnée ! si je vous présente ce modèle, avouez-le : vous avez envie de hausser les épaules, passer votre chemin, ce n'est qu'un petit oiseau du printemps que j'aurais si peu remarqué si je ne lui avais pas mis un gite à disposition. Moi, si déconnectée de la nature et de ce qui s'y joue, je reste subjuguée par ce manège éphémère mais que je pourrais reconvoquer chaque matin. Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais été sollicitée, invitée à mettre les mains dans la terre, à observer et comprendre le monde, la chaleur. Alors je me laisse surprendre par cette rencontre qui ne date pas d’hier mais qui revêt d’autres apparats. Cette vie que j'observe à son insu n'attend rien de moi, si ce n’est une invitation. Elle est tout simplement et vient me rappeler que tout est permanence et fragilité, que la vie s'écoule que j'y prenne part ou pas. Grande leçon d'humilité et sourire du jour ! La nature et les petites mésanges bleues ne se trompent pas, le printemps est bien là ; et moi si souvent, très souvent et avec de plus en plus de jouissance à m'en rendre compte, à dédramatiser, ironiser puis refoncer tête baissée. Une autre permanence : trébucher, sauter de joie, se croire arrivée, regarder derrière, jouer à chien et chat, chat perché, s'envoler maintenant. Cette mésange si singulière n'a que sa robe bleue et jaune à la douceur d'un rêve, et son air inquiet qui la rend à la fois si accessible et inaccessible. Elle m'hypnotise un instant, comme un œil accroché à ce tableau que je découvre pour la première fois. Emotion sans cesse renouvelée et intacte à chaque fois qu’elle passe le pas de ma porte depuis le jour où nous devenons ceux que nous serons. Je n’omets pas que l'envol programmé de la nouvelle portée est synonyme de liberté. Et c’est avec la voisine d’à côté que j’ai envie de m’envoler.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire