J'ai des petites contrariétés dans les jambes. Cela m'arrive surtout quand je suis allongée. C’est comme des picotements. Finalement, je les aime bien ces grésillements dans mes mollets. Ils m'accompagnent même dans mon endormissement.
Ce soir, ils sont
particulièrement présents, en lieu et place de fourmis, on dirait des
mille-pattes tellement ils fourmillent. J'ai envie de me gratter mais je
résiste, je tapote ma jambe gauche contre les bords du sommier. J'ai
l'impression de les écraser. Ça m'a fait du bien. Je suis dans un pseudo
sommeil, trop enkylosée sous mes draps à fleurs pour poser ma main et voir s'il
y a des invertébrés dans mon lit. Le sommeil a toujours était un sacrement pour
moi. Trouver un moyen de dormir, un petit rituel de nuit comme pour les bébés.
Mettre une musique douce ou une symphonie ou des préludes pour apaiser les
sens. Et quand je suis courageuse je peux prendre un livre et reposer mes yeux
et ma concentration sur des lignes de caractères noirs qui souvent se résument
à une succession de mots auxquels mon cerveau ne donne aucun sens. On dirait
une petite ligne de fourmis noires.
Si je n'ai ni livres
ni musique de nuit, j'ai comme un élan de panique, de trou-noir dans lequel mes
jambes s'engouffrent et me font tomber sans filets, sans point d'accroche.
Petite fille j'avais
vécu ce sentiment soudain de disparition alors que je marchais sur le trottoir à
un mètre de ma maman, car maman était très prudente avec moi. C'est alors que
tout mon poids du corps céda sous une plaque d'égout. J'avais littéralement
disparu. Le vide sous mes pieds, la pesanteur, le noir, la disparition de maman
et l'apparition de sangsues qui s'étaient collées à mes jambes comme autant de
ventouses pour me retenir engluée dans ces eaux noires. Maman avait cru à un
coup monté de mon père qui connaissait très bien les égouts de Paris, pour
travailler dans les catacombes et avec qui elle était en froid pour des
histoires d'adultes que je ne comprenais pas alors. Moi, j’aimais trop ma maman,
alors que mon père s'en aille cela m’arrangeait bien. J'avais ma maman pour moi
toute seule ; D'ailleurs je n'ai plus eu de nouvelles de lui depuis. Maman
avait tellement eu peur qu'on avait déménagé en Andalousie, là où les chaleurs
tropicales font rage. Enfin jamais, sauf qu'il y a 3 jours, je suis allée me
promener à Los Arcornocale, une des dernières jungles tropicales d'Europe. Quand
j'ai cru le voir parmi les employés du parc.
Mon père possède une
caractéristique physique unique : sa peau porte des scaries marron noires comme
des écailles sur les avant-bras et les mollets. Je suis sûr que c'était lui.
ça me gratte encore,
ça ce n'est plus des picotements, mais bien des démangeaisons je ne devrais
pourtant pas avoir de problèmes d'endormissement dans cette chambre qui sent le
frais, la menthe et l'oranger. Mamie a mis des moustiquaires à toutes les
fenêtres, de fait les odeurs du verger et de la garrigue emplissent la maison.
Ma chambre donne côté nord,
avec deux pans de murs souterrains, j'ai le frais de la terre et les effluves
du dehors. Ah ! ces jambes ! Elles vont me laisser tranquille !
J'ai vraiment besoin de dormir. C'est insoutenable. Qu'est ce qui m'arrive ?
Je tape encore contre le bois du lit. J’aurais vraiment des bestioles sur les
jambes ? J'ai l'impression de revivre le supplice des sangsues ! Dor-
mir, dor-mir. Allez ma main ankylosée, allez ! il faut en avoir le coeur
net. Je me contorsionne sous les draps et passe une main sur ma jambe. C'est
quoi ce truc ? rugueux ! poisseux ! Vite ! allumer la
lumière ! Interrupteur ! ces interrupteurs à l'ancienne qui grésillent
quand on les actionne. Une masse noire se déplace soudain derrière le rideau de
la chambre. Un mirage ? Je rêve ? Y-a-t-il quelqu'un ? C'est
quoi ? c'est qui ? Je m'assieds sur le lit, un drap fleuri et
printanier laisse dépasser une jambe noire et irritée. Je n’ose découvrir mon
autre jambe que j'ai épargné de coups dans le coin du lit. Un détail sur le
dans le mur de la chambre attire mon regard. Un trou, une galerie souterraine d’où
défilent des cancrelats, des araignées et des blattes, droit dans mon lit. Je
hurle à la mort ce qui fait vibrer et osciller la ligne d'insectes noires, je
soulève déterminée mes draps et mon autre jambe fourmille de ces bestioles. J'écrase
le tout sous couvert de fleurs, de roses et de bleuets qui se tachent de noir
comme quand j'étais petite et que j'étêtais les parterres de fleurs du jardin à
l'aide d'un bâton. Ça faisait crier maman et rire papa. Encouragé par tant de
réaction, je m'employais à piétiner les fleurs qui se coloraient de terre. Je
visais aussi les escargots et les fourmis selon la saison. Me voilà donc à
reproduire ces épisodes sans que personne ne soit là pour s'affoler. Je me lève
et tire le rideau. Papa n'est évidemment pas là. Quant à maman c'est encore la
veillée funèbre dans sa chambre.
J’enfile mes coulants
opaques qui cachent cette caractéristique physique que maman a toujours eu en
horreur car elles lui rappelaient trop papa. J'apprendrai plus tard que maman
avait manigancé ma chute dans les égouts pour justifier l'état de mes jambes.
Depuis la mort de maman, papas n'a jamais voulu me revoir.
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