vendredi 24 mars 2023

Josiane à la façon d’André Gide

La pièce était non seulement sombre mais elle était petite et peu meublée, une vraie cellule monacale, pas du tout le palace qu'il lui avait décrit là-haut dans son village des Alpes, le soir du bal des pompiers. Elle avait mis sa plus jolie robe, la bleue avec de la broderie anglaise et tous les garçons la regardaient. C'était tous des paysans pauvres sauf Geoffroy qui avait des terres et qui était le plus beau parti du pays. Geoffroy la regardait en douce, elle lui plaisait beaucoup, la Gertrude, mais elle n'avait d'yeux que pour ce garçon de la ville avec son costume, ses cheveux gominés et son allure conquérante. Et voilà maintenant qu'elle est à Marseille cette chambre exiguë et qu'elle pensait à son lit bateau dans sa chambre au village. Alors qu'elle était assise sur son lit de camp inconfortable où elle avait peur de se coucher.

Elle se mettait à fenêtre, elle avait découvert un spectacle étrange, une foule hétéroclite se pressait sur un trottoir gras jonché d'ordures de toutes sortes. La maison était soutenue par de grands madriers de pierre qui l'empêchaient de s'affaisser un peu plus. Du linge séchait aux fenêtres de tous les étages et claquaient sous le vent. Les enfants morveux courraient de toutes parts en quémandant de la nourriture, un sucre, un bout de pain, n'importe quoi pour soulager la faim qui les tenaillait. Les filles étaient assises sur le devant des ports, vêtues de combinaisons de tissu brillant, de soie ou de nylon. Elle ne savait pas. Des plaisanteries et des rires sonores, des cris fusaient de tous côtés. Des odeurs de sueur et de nourriture rance, de parfums bon marché flottaient dans l'air et puis elle les vit, des hommes dont on lui avait parlé, des marins italiens et soldats américains aux cheveux en brosse qui entendaient qu'on les fasse entrer pour faire leur choix. Ils étaient en troupeaux, toutes nationalités confondues, animés par le seul désir de lover une femme à leur goût. C'est pour ça qu'ils étaient là, et pour rien d'autre. Gertrude le savait, elle le voyait et pourtant elle n'arrivait pas à y croire vraiment. Dans sa tête, elle entendait l'angélus de son village et elle se mit à pleurer.

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