mardi 1 décembre 2020

Ce père qu'il n'était pas

Ce jour-là, je ne me suis pas reconnue, rouge de honte, vert de dégout, noir de colère, ça m'a donné des ailes, décuplé mes forces, mise à terre. J'aurai voulu m’enfuir pour oublier et crier ma rage d’exister, ici, à ce moment-là avec ce que j’avais à dire, à cracher du fond de mes entrailles.

Cela fait des jours que tout s’entremêle dans ma tête. Je bous de devoir me taire face à ce petit chef à la noix qui ne sait demander les choses que pour la veille. Evidemment, il n’y a pas une seule fois où il s’écorcherait à dire un ‘merci, bon boulot’, puisque c’est forcément toujours en retard. Il y a des jours où je lui ferais avaler ses lunettes rien que pour le plaisir de le voir s’étouffer sous mes yeux, me supplier de l’achever sous la torture. Je l’avoue, c’est le tableau de cette scène que je placarde derrière les yeux, et qui me maintient sous pression pour ne rien relâcher de ma cocotte-minute. Quand il me parle avec sa bave de crapaud, je l’imagine aussi en caleçon rouge à poix, ou dans ses chaussures, de gosses patates à ses chaussettes pour le rendre encore plus ridicule. C’est ma manière d’échapper à son pouvoir. Je perçois alors un mot sur deux, qui glisse sans m’étreindre. Parfois, je vais travailler dans les toilettes, mon havre de paix, là où il n’ira pas me chercher, ma petite île paradisiaque. Les chasses d’eau pourraient ressembler à des vagues sur l’océan. Assise sous la fenêtre, dos au radiateur qui me réchauffe les reins, je suis bien mieux que dans mon open space sous les néons qui finissent par me décolorer les cheveux, sans compter ce maudit courant d’air à chaque fois qu’il arrive d’un pas avide souffler son haleine de cafard. Je suis sûre qu’il prend plaisir à venir dans mon dos, sur la pointe des pieds pour agonir ses exigences, me fracassant les tympans, au bord de la crise cardiaque. Là, bien calée entre la porte du WC et le lavabo, je ne pourrais jamais me faire surprendre. La porte d’entrée est en face. J’aurais presqu’envie de m’assoupir…

Les yeux mi-clos, mon PC sur les genoux, je ne l’ai pas vu arriver. Catastrophe ! Entre la honte d’être démasquée et la colère. Il a osé entrer dans ce fief de filles ! Alors qu’il vitupère à propos d’un quelconque sujet urgent, je tourne en boucle comme un disque rayé incapable de l’écouter : il a osé, il a osé, il a osé… Son monologue dissout dans la pièce devenue malodorante rien que par sa présence, le silence attend soudain ma réponse. Il faut que je dise quelque chose : défense ou contre-attaque ? Et là, la phrase sort toute seule, à haute décibel, sans réfléchir, sans préméditation, lui clouant le bec jusqu’à le faire rougir. Alors qu’une femme vient d’entrer dans notre espace, et le regarde des pieds à la tête, interloquée. Je pouffe de rire, et sans lui daigner un coup d’œil, je dis à la directrice du 2ieme étage, je crois bien que Monsieur Dominguez s’est trompé de porte, tellement pressé qu’il devait être !!! Il était vaincu ! Il sortit aussi vite qu’il était entré, j’avais la victoire ! la victoire ! Oui, mais il allait falloir que je quitte mon territoire de conquistador. Aie, ça allait se corser. 

Fallait-il que je sois hors de moi pour devenir enfin tout à fait moi, pour oser affronter cet homme qui ne me respectait pas. Même mon père alors que j’étais enfant ne me parlait pas sur ce ton alors que j’étais prise en flagrant délit de bêtise. Pourtant j’en tremblais devant cette autorité absolue, même face à l’injustice parfois. J’avais appris à courber l’échine fautive quoi qu’il advienne, parce que sa parole était indiscutable, alors je m‘excusais jurant que je ne recommencerais plus malgré ma disculpabilité. Mais cet homme n’était pas mon père …J'étais pliée comme le roseau, face à ce chêne venteux qui se déchaînait, quand la vie est dure, les courbures sont vites apprises, les brisures vites venues. J'avais appris à ne pas vivre, à taire mes palpitations, les émanations de mon âme n'avaient pas de route, face à un être sans doute, qui a le goût de donner des roustes.
Mais cet homme n'était pas mon père...

Ce n'était qu'un résidu, pratique des instituts de filoutage, un petit chef mécanique, sans envergure, guttural et râleur, un adjudant au service du marché des dupes, dans l'armée des cadres pétris de rictus de minus, adorateur du commandement. Comme l'énonce, l'historien Johannes Chapoutot, le nazisme sert de modèle aux méthodes de management qui ne ménage d'ailleurs personne. Dans la lutte des classe, l'essence du pouvoir est un conditionnement lointain, on prend pour des dieux, les vieux au pouvoir, ils ne sont que des dinosaures, à qui a manqué une météorite ou un bon dérèglement climatique, pour les laisser en marge, de l'avancée du monde, qui ressemble avec eux à une ample reculade.
En attendant qu'on retrouve, leur squelette dépourvu de gluten et d'humanité, je médite sainement dans les sanitaires. J'envisage d'y rester soixante-quinze ans, non que je possède, l'espoir que leur race de pouvoir, soit morte d'ici là, par une venue spatiale céleste, flambant un quart de la planète, mais comme j'ai lu, un peu, Françoise Héritier, Anthropologue, femmologue, qui était optimiste sur plusieurs générations sur l'évolution des relations humaines, avec un peu moins de haine à la clé et de la compréhension dans les sillons des cheminements, trois générations me semblent, une marge plausible pour que la marche du monde devienne un peu paisible. Mais ce temps imparti de l'évolution, qui aurait plus au naturaliste Charles Darwin, ne m'est point donné, je suis face à Monsieur Dominguez comme les Incas face à Cortez. On prête, au chef des choses qui n'existent pas, création d'un état hiérarchique intériorisé, depuis l'enfance, et l'état d'infériorité de celle-ci. Nous sommes des grands enfants qui s'ignorent, mourir en le sachant, nous libérera d'un mauvais esprit, pensais-je sous les néons cléments, du lieu d'aisance, et comme disait Arthur Rimbaud, poète de condition marcheuse, je me crois en enfer, donc j'y suis. Pour me sortir de cette impasse et des toilettes, j'envisageais les grands moyens, un monde plus grand, comme dirait Corine Sombrun, une chamane nomade, qui a ma sympathie, du fait qu'elle se prête à des recherches scientifiques, tout en étant quelque peu libre, à ce que j'ai vu, au gré de mes lectures, de certains de ses livres. La vengeance est un plat qui se mange tard, avec des sauces relevées à vous élever vers les cieux, fussent-il infernaux. Philosophe des WC, je comptais évincer cruellement le rude Dominguez. Selon le tarif en vigueur avec les entités de Mongolie, un envoûtement, faisait perdre cinq ans de vie au praticien de cette magie noire, mais quoi alors, cinq ans de vies perdues, c'est quoi ? Le chanteur Mano Solo ne clamait-il pas la liberté ou la mort ? J'aurai eu les deux, donc je choisis la liberté et la mort de cinq années de ma vie, je vais jeter un sort à ce ressort du capitalisme de l'hubris qu'est Dominguez et le pire et le mieux, le rendre amoureux de moi, et jouer l'indifférence tandis que je jubilerais mauvaisement et superbement. Vingt minutes viennent de passer depuis son passage en coup de vent, me voilà prête à sortir avec mon coup de Jarnac, grâce à cette décision, je serais solide intensément, face à sa vulgarité entraînée, je ne crains plus rien, pour moi, en somme il va devenir invisible. (Isabelle & Vincent)

1 commentaire:

  1. Génial! bravo Vincent! J'avais hate de lire la suite qui me serait donner et je ne suis pas decue. Vraiment de la haute voltige, de la rage qui dégouline, aux armes citoyens ;-)
    Isabelle

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