mardi 1 décembre 2020

Teint en vert

Depuis que l’homme a avalé du sous-traité, du surgelé, du chimique, du colorant, du pollué à haute dose, il semblait bien être habitué à se taire, sûrement à cause de sa langue boursoufflée.

Un soir, alors que Marcel rentrait d’une journée harassante, il constata que sa langue boursoufflée avait non seulement doublée de volume mais aussi verdi. Il crut d’abord à la coloration des épinards surgelés de midi et pensa se laver les dents et la langue. Hélas, cela ne changea rien. Il aurait aimé en parler, ce soir, à quelqu’un. Cela l’inquiétait terriblement. Impossible de téléphoner, on ne le comprendrait pas. Il pensa aller sonner chez les voisins sauf qu’il se sentait vraiment gêné de cette situation. Il était moche à faire peur. Si seulement Pierre ne l’avait pas quitté, il aurait pu évacuer son anxiété, son stress en tirant la langue. Il rit en pensant à tirer la langue parce qu’il se souvenait du jeu auquel il jouait avec son ami d’enfance, Martin. Si l’un des deux se faisait punir au coin, alors, l’autre devait lui tirer la langue depuis sa place, sans être vu du professeur. Le puni devait évidemment y répondre et compter le nombre de tirage de langue que le professeur ne parviendrait pas à voir. Cela se terminait inlassablement de la même manière : l’acolyte était puni à son tour.

Il fouilla longuement la pharmacie tout en se disant qu’il ne pourrait rien avaler de toute façon. Il paraît que la nuit porte conseil alors il s‘allongea. L’anxiété était si forte qu’il ne parvint pas à s’endormir. Pour s’apaiser, il cherchait à répéter un mantra : l’espoir me dit que tout peut être transformé. L’espoir me dit que tout peut être transformé. L’espoir me dit que tout peut être transformé. L’espoir me dit que…

À son réveil, Marcel s’habilla, ouvrit la porte de son appartement et la langue boursouflée et verdit, tout en dehors, sonna chez le voisinet suspendit son geste. Son regard venait de balayer le parterre de fleurs à ses pieds, puis le jardin et plus loin, le parc où les enfants ne jouaient plus. Ce qui l’étonna ne fut pas le calme qui y régnait, ce ne fut pas le silence et son emprise mais les couleurs que ces yeux percevaient. Difficilement descriptible, la moindre goutte qui transpirait de chaque feuille ou pétale scintillait à l’éblouir. Il reconnut la douleur de la soif comme une dipsomanie mais dans un régime vital, incommensurable et soudaine qui ne se contentait pas de lui assécher la bouche où sa langue semblait vouloir se faire oublier mais où tous ces pores réclamaient l’hydratation. A ce moment-là précisément, il se retrouva face à sa voisine qui lui ouvrit la porte. Ses cheveux teints en vert ressemblaient à ces hautes herbes négligées de sa cour mais à ne point s’y méprendre, sentait bon le printemps. Il l’aurait embrassée s’il ne s’était pas retenu, les mains dans les poches pour piéger ses mains avides de l’enlacer. Une rumeur poétique planait avec ce goût de pollen sur la langue. Il bégaya dans une tentative d’élocution tandis qu’il postillonna un nuage de pistils de toutes les couleurs qui frisèrent instantanément la chevelure d’étamines arborescentes de son accolée. Ces semences se dispersèrent comme une poussière d’étoiles baptisant la génitrice incarnée qui recueillait l’offrande, les yeux rayonnant de joie. Sa robe se détachait comme une écorce desséchée dévoilant un velours digne des pétales de roses. Et quel parfum ! Ses jambes semblèrent s’allonger langoureuses et épineuses. Marcel, dégoulinant et ému, transpirait de toute sa sève blanchâtre et suave tentant de garder la dignité d’un Homme qu’il n’était cependant plus. Prêt à communier avec la nature qu’elle représentait.

Le lendemain, le paysage urbain se verdit, recouvrant plastiques, bétons et ferrailles de ses ramures. Les insectes éboueurs avaient nettoyer toutes les ordures abandonnées et orphelines sur les pas de portes qui restèrent grandes ouvertes, offertes sans crainte à la lumière. Les oiseaux aidèrent les guirlandes de lierres à habiller les pylônes électriques qui disparurent sans combattre. Avec douceur et fraicheur mais néanmoins sans appel, la nature prit sa revanche sur l’Homme qui croyait tant maitriser la situation envers et contre tout. L’invasion du sous-traité, du surgelé, du chimique, du colorant, du pollué à haute dose, furent digérée libérant la terre de toute autre velléité, arborant un autre langage où le souvenir de Martin restait néanmoins vivant : l’histoire d’un autre temps dont la page fut tournée en un jour et une nuit. Mère nature accouchait d’un nouvel Homme, sans singularité ou supériorité sur tous ses autres enfants de la fratrie, végétaux ou animaux, lisse comme un dessin, identique à n’importe qui.

1 commentaire:

  1. Bonjour Maeva, l'introduction m'a donné du fil à retorde. Marcel la langue verte vient sonner à la porte de son voisin... quelle suite donner. Et bien je me suis lachée et je me suis bien amusée, merci!
    Isabelle

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