mardi 1 décembre 2020

En calebut' sur la Cannebière

Depuis le temps que l'homme avalait du sous-traité, du surgelé, du chimique, du colorant, du pollué à haute dose, il semblait bien s'être habitué à sa condition d'animal de batterie.

Il avait paru bien déterminé à prendre son destin en mains pourtant en 2022, notamment, lors de la grande mutinerie contre le port du pyjama en pilou-pilou rendu obligatoire sous 18 degrés. Ah!  Il fallait les voir, défiler en calebut' sur la Cannebière. Il y avait les Pro pur coton, qui envoyaient des pavés dans les boutiques et glissaient en chaussettes le long des réverbères. Plus loin dans la procession, une bande d'antiféministes en nuisettes sexy scandaient à pleins poumons "Travail, Famille, Patrie !" Je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais pourtant huit ans à peine.  Je suis resté très longtemps traumatisé par cette bouillie cérébrale affichée. A huit ans, dans ce monde aseptisé et prédigéré, l'âge adulte n'est pas encore atteint, le conditionnement programmé est encore loin du définitif et j'ai refait pipi au lit. Les traitements que j'ai dû subir me plongeaient dans des sommeils sans rêve, qui se terminaient toujours en sursaut.

Bon d'accord on n'est pas en 2022. Quelques vérités quand même, le cerveau fermé des adultes, le pipi au lit au-delà de l'âge autorisé, et mes petites siestes volées dans l'arbre du champ voisin.

Un bruit de porcelaine, et je reviens à moi, perchée sur mon arbre. A mes souliers vernis, un chat rayé mauve et noir, seule race homologuée de nos jours dans la région des GAFA Unies.

Je l'observe descendre en colimaçons nonchalants le long du tronc et s'enfoncer dans les buissons quand soudain, une horde d'escargots, bataillon de coquilles, avance et commence à grimper le long du tronc de mon arbre. Je ne crains rien, les escargots sont mes amis. J'évite souvent des morts par écrasement sauvage. Les tailles 42 sont les plus dangereuses. Ils avancent tranquilles maison sur le dos.

Adulte aujourd'hui, ils m’aident à ne jamais oublier que ma maison est en moi et que mon arbre y est aussi. Je suis un enfant de la terre et je ne supporte plus qu'elle soit oubliée, piétinée. Elle est plus difficile à protéger que les escargots de mon enfance, elle se laisse spolier, vampiriser. Elle a bien essayé de réguler avec quelques virus mutants, comme autant de parasites sur son dos rond, sans succès. La terre est peuplée d'une humanité dont les cellules cancéreuses, se multiplient de façon anarchique et phagocytent celles qu'elles ne reconnaissent plus. Faudra-t-il que la terre devienne notre cancer pour survivre, que nous devenions des inconnus et que la terre s’en débarrasse car elle ne les reconnaît plus ? 

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